1929-1934

Les Aït Hammou, derniers irréductibles

Mis à jour : lundi 2 février 2015 17:44

Source : texte du Lt-Colonel J. Barrère paru dans la Revue Historique de l’Armée, n°3, 1952

Irréductibles, on peut les considérer comme tels ces Aït Hammou, ou mieux les Aït Tseghrouchen du Sud, qui abandonnèrent leurs biens à l’arrivée des colonnes Makhzen dans l’Est de l’Atlas et qui, de “bled es siba” en “bled es siba”, traversèrent d’Est en Ouest tout le Maroc pour céder enfin sur le rivage de l’Océan Atlantique, vingt-six ans plus tard.
Quelle odyssée fut la leur, assombrie, d’un côté, par des actes de banditisme, de rapines, de meurtres, mais éclairée singulièrement, d’un autre, par cette ardeur guerrière qu’ils montrèrent dans leur volonté et leur résistance indomptable pour rester des hommes libres. Exemple unique au Maroc, où les tribus berbères, si elles ont habituellement défendu, et souvent avec quelle âpreté, leur pays d’origine, ne se sont jamais résolues à l’abandonner avec l’intention de poursuivre, en dehors de leurs montagnes, le combat et la lutte.
Les opérations de pacification chez les Beni-Snassen, à la frontière algérienne, terminées au début de 1908, provoquent dans tout le Maroc oriental, jusqu’au Tafilalet, une profonde émotion au sein des tribus en majorité semi-nomades. Un marabout originaire de Douiret-Sbaa (50 km SW de Talsint), Moulay Ahmed ou Lahcen-es-Sbaï, appelle alors à la guerre sainte. Les Aït Tseghrouchen, qui sont les premiers à accourir, constituent le noyau solide autour duquel s’organise une harka.
Le 16 avril 1908, à Menabha, la harka essuie de lourdes pertes face aux troupes makhzen; puis ce sont les combats de Bou Denib (mai 1908), du Jorf (septembre 1908), qui la disloquent complètement. Les Français et les troupes makhzen qui occupent Bou Denib, Tazzouguert et Beni-Tadjit, lancent des actions vers Gourrama et Anoual. Les Aït Aïssa se soumettent, cependant que les Aït Hammou continuent à harceler les troupes. Dans la vallée du Guir, un accrochage anéantit un de leurs djichs, et par une funeste inspiration on ne laisse pas les femmes Aït Hammou récupérer les corps des tués. Les cadavres sont jetés dans un lit de broussailles enflammées et incinérés. D’autre part, les Aït Aïssa, profitant de leur situation privilégiée de nouveaux soumis, razzient un groupe de tentes Aït Hammou, tandis qu’une “colonne de représailles”, partie de Beni-Tadjit, détruit les ksour Aït Hammou du Kheneg. Le sort en est jeté. Désormais, entre les Aït Hammou d’un côté, les Français, le Makhzen et les Aït Aïssa de l’autre, “il ne peut plus y avoir, selon leur expression, que du sang”. Sous la conduite de leur kébir Hammou-Ali-Akerdous, la fraction Aït Hammou replie ses tentes et commence une odyssée de vingt-six ans qui va la conduire jusqu’à l’océan.
En 1917, leurs campements s’échelonnent entre la vallée du Haut-Rhéris et le Ferkla, encore à peine à deux jours de marche de Talsint. Ils ont atteint cette région petit à petit, en réglant leurs étapes sur l’avancée de la pacification et surtout en participant à tous les combats, à toutes les escarmouches, aux côtés des tribus engagées.
Les opérations de 1919 commencent à les éloigner du Nord. En 1928, année de la création du poste de Ouarzazate et début de l’expansion des forces makhzen au Sud de l’Atlas, leurs campements ont reflué dans le Tafilalet, base de leur ravitaillement, lieu d’écoulement de leurs prises et théâtre idéal pour leurs intrigues. Ils nomadisent également dans le djebel Ougnat, refuge remarquable contre l’aviation.
En février 1932, ils atteignent le Draa, remontent ensuite l’oued Tamanart et campent en mai à Foum el Hassane. En août 1932, ils sont à Goulimine et demeurent ensuite dans l’Oued Noun jusqu’aux premiers jours de mars 1934, fin officielle du bled “es siba” au Maroc.
Pendant vingt-six ans, auréolées de sa réputation d’irréductibles dans la dissidence et d’ardents baroudeurs, cette fraction Aït Tseghrouchen va jouer un rôle important auprès de toutes les tribus en lutte contre l’avancée inexorable des troupes makhzen. La sécurité des Confins Algéro-Marocains sera soumise pendant un quart de siècle au problème Aït Hammou.
Pour donner un exemple sur leur qualité de djicheurs, on a estimé leurs tués au feu, durant le temps de leur dissidence, à moins de 70 hommes, alors que du 1er août 1929 au 1er août 1930, au cours d’une seule année, les pertes makhzen dans leur zone d’action se sont élevées à 208 tués, 109 blessés et 149 armes enlevées.
Particulièrement sur la fin de la pacification où la lutte s’intensifie dans des zones plus restreintes, leurs actions, pas toujours de guerre, vont aller en s’accentuant. De 1926 à 1931, en dehors des troupes makhzen, ils vont faire plus de 200 victimes, en majorité Aït Aïssa, leurs ennemis de toujours. Ce ne sera alors que meurtres, caravanes pillées, troupeaux razziés, armes enlevées, ksouriens rackettés.
On peut citer quelques méfaits parmi beaucoup d’autres :
Le 23 novembre 1926, près de Bou Denib, plusieurs indigènes d’un chantier et un sous-officier sont tués. Le 25, un djich attaque au Taforalt les troupes makhzen de Beni-Tadjit et de Talsint dont les pertes s’élèvent à 18 tués et 6 blessés.
Le 16 avril 1927 au Tizi Gzaouine (10 km au Nord de Talsint), un peloton de spahis tombe dans une embuscade : le lieutenant Dolat et 6 cavaliers sont tués.
Le 18 mai 1927, 3 camions sont arrêtés au col de Sidi-Belkacem, 6 morts dont le fils du général Estienne. Le 25, le capitaine Thomas, du 2e Étranger et 4 légionnaires sont tués au Teniet Kébira (Nord de Bou Anane).
Le 28 juin 1928, 50 djicheurs assaillent près d’Anoual le groupe-franc du 3e R.T.M. et après un dur combat tue le lieutenant de Baulny et 14 tirailleurs, font 10 prisonniers et enlèvent 22 armes à tir rapide.
La même année, la Compagnie Saharienne du Guir tombe dans une embuscade à Bou Bernous et a 37 hommes hors de combat.
Le 8 septembre 1929, le groupe-franc du 3e R.T.M. de nouveau, attiré dans une embuscade non loin de son poste d’Atchana, perd en quelques minutes 38 tués ou blessés et 9 disparus, 37 armes à tir rapide sont enlevées.
Un des coups les plus spectaculaires sera celui de Djilani. Le 8 octobre 1929, un djich de 150 fusils sort du Tafilalet en direction de l’Algérie. Le 14, quatre détachements algéro-marocains cernent le djich près de Djilani; une compagnie algérienne de Légion montée s’engage seule, elle est presque entièrement anéantie, les survivants seront sauvés par l’intervention d’un détachement marocain. Une poursuite forcenée n’aboutit à rien; les pertes s’élèvent à 50 tués, 20 blessés, 35 fusils, 38 mulets et 2 chevaux enlevés; le djich a perdu 18 tués.
Le 10 avril 1930, un djich de 120 hommes entre en action. Le 13, une fraction attaque la fezza d’Almou n’Aït Aïssa, dont le chef a fait sa soumission depuis peu. Il est tué avec 14 de ses hommes. Le 14, le djich est accroché au Sud du djebel Bou-Khous (12 km Est d’Atchana), 3 tués et 13 blessés dans les troupes makhzen après 8 heures de combat. Le 15, au cours de la poursuite, la fezza de Bakno (11 km Ouest d’Atchana) perd 19 tués et 6 blessés. Le 16, le djich réussit à échapper à une compagnie de Légion montée et à un groupe important de partisans qui le talonne en traversant le Ziz à 8 km au sud de Ksar-es-Souk (Er Rachidia). Le 17 au matin, il est accroché à l’oued Saf-Saf (Nord de Tarda) par le 83e Goum marocain, mais il échappe à l’étreinte et réussit à se réfugier dans le Tadighoust. En plus des fezzas, le bilan des pertes makhzen est de 3 tués et 13 blessés dans les troupes régulières et 34 tués, 9 blessés dans les forces supplétives ou chez les partisans.
Le 13 juillet 1930, un fort djich attaque quelques soumis dans la haute vallée du Ziz. Il est pris à partie par les forces supplétives qui, à la suite d’une mauvaise coordination, perdent 29 tués dont le lieutenant Sirou.
Le 24 juin 1931, un djich de seulement 6 fusils surprend la fezza de Fertoumach au Tizi n’Ouzgou et lui tue 21 hommes et en blesse 7.
Le 7 juillet 1932, les Aït Hammou brûlent 3 camions au Foum Amara sur la piste d’Igherm à Akka, après avoir tué les chauffeurs, le capitaine Murel, deux sous-officiers et 7 hommes; ils pillent les marchandises et dépouillent les victimes d’une importante somme d’argent.
Le 28 novembre 1932, un djich important attaque à Hassi el Kerma, un groupement composé de 9 pelotons et 4 sections de goums. Les pertes s’élèvent à 22 goumiers tués et 18 blessés; 23 chevaux, 11 mousquetons et 2 F.M. sont enlevés.
En 1933, l’avancée inexorable et l’importance des troupes envoyées dans l’Atlas et dans le Sagho pour pacifier les dernières poches de dissidence entravent les actions des Aït Hammou dont quelques fractions se battront encore au Baddou et au Bou Gafer.
En mars 1934, pendant les derniers combats de l’Anti-Atlas, un groupe de 80 tentes Aït Hammou réussit à se réfugier au Rio de Oro mais soumission pour soumission, il préfère la demander au Makhzen en sollicitant en même temps l’autorisation de rentrer à Talsint, ce qui leur sera accordé contre la remise de leur armement complet.
Le colonel Jean Boule Desbareau, à l’époque lieutenant nouvellement en poste (juillet 1930), raconte ses premiers contacts avec une fraction Aït Hammou ralliée après le combat de Tarda : “J’entre dans la pièce où habite le chef et je partage un repas avec lui et cinq de ses meilleurs guerriers. C’est la première fois que je vois des Aït Hammou dont j’entends sans cesse parler depuis deux mois. Hommes, femmes, enfants, je ne crois pas possible d’unir comme ils le font la finesse, la beauté et la sauvagerie ! Ce sont bien de grands seigneurs du baroud, leur seule passion. La majesté des femmes est impressionnante : à tout âge, elles semblent faites de feu et d’intrépidité; leurs bijoux conviennent le mieux à leur allure farouche; leur démarche a une souplesse féline, prête à l’attaque.

Aghbalou_nKerdous

 

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