L’attaque d’Aoufous
En 1928, basée à Erfoud, la compagnie saharienne du Ziz, chargée de la sécurité aux limites Nord du Tafilalet, avait détaché à Aoufous (31°40,96’N - 04°10,82’W) une section de 40 fantassins et un peloton de 20 cavaliers, autour desquels gravitaient deux fezzas de partisans d’une cinquantaine de fusils chacune. Le poste était commandé par le lieutenant Guillaume de Tournemire dont la puissante personnalité en faisait un émule d’Henry de Bournazel.
Le 20 octobre, alors que le lieutenant de Launay, chef du bureau des A.I. de Ksar-es-Souk, venait lui rendre visite, Tournemire fut prévenu qu’un important djich Aït Hammou venait de s’installer sur la falaise qui fait face à celle d’Aoufous, de l’autre côté de la vallée du Ziz et que le chef du djich l’invitait à venir se mesurer avec ses hommes.
Tournemire et de Launay rassemblent leurs gens, non sans avoir alerté une fezza voisine, qui devra couper la retraite de l’adversaire, tandis que les éléments du poste d’Aoufous le délogeront de sa position. Après une approche rendue difficile par la nature tourmentée du terrain, dont la falaise escarpée qu’il fallait escalader sous le feu ennemi, le contact est pris.
Dès le début, les Aït Hammou, excellents tireurs, spécialistes de l’embuscade, soumettent les sahariens et les mokhaznis à un tir nourri mais sous l’ardeur des attaquants ils sont rapidement dans l’obligation de décrocher, laissant les corps des tués et de nombreux blessés sur le terrain, ce qui n’est pas dans leurs habitudes.
La poursuite s’engage alors qu’une fusillade fait penser que c’est la fezza qui coupe la retraite du djich. Hélas, pour accourir plus vite sur les lieux du combat, les partisans, oubliant toutes règles de prudence, se sont laissés surprendre dans un ravin où ils subiront quelques pertes avant que les Aït Hammou quittent définitivement la zone.
Cette affaire d’Aoufous fit grand bruit en dissidence et porta un sérieux coup au prestige des Aït Hammou. Le “combat d’Aoufous” fit également grand bruit à tous les échelons du commandement. Tournemire se fit infliger un blâme pour avoir engagé l’affaire à la légère sans en avoir référé à Erfoud. La petite histoire raconte que le Maréchal Franchet d’Esperey en tournée d’inspection, ayant eu vent de la chose, tint à se faire présenter ce lieutenant bien impétueux qu’il félicita chaudement, ajoutant qu’à son âge, il n’aurait pas agi autrement... Il ne fut plus question de blâme...
1931, retour des forces Makhzen et soumission définitive du Tafilalet
En 1930, le Tafilalet était encore l’une des dernières taches non encore soumises du Makhzen qui y faisait figure de vaincu, après la désastreuse retraite de Tighemart, en octobre 1918; peut-être l’une des rares erreurs tactiques de Lyautey.
Durant une douzaine d’années le Tafilalet allait servir de refuge aux dissidents et de base de départ des djouch allant piller les tribus ralliées de tout le Sud de l’Atlas et même de l’Algérie. Lorsque, le 1er mars 1930, le général Giraud prend le commandement de la région des Confins algéro-marocains, les directives gouvernementales sont d’abord d’isoler le Tafilalet, le souvenir de l’échec sanglant de Tighemart n’est pas oublié.
En attendant le moment d’intervenir au cœur des oasis, des reconnaissances sont faites à l’Est et au Sud-Est. En février 1930, les postes des Oulad Zohra et de Ba Haddi sont construits et leurs canons, pointés sur le cœur de la grande palmeraie, leur permettent d’assurer la surveillance Nord de celle-ci.
Au début de 1931, Giraud resserre l’emprise autour du Tafilalet. En février, le général, à la tête d’une colonne Makhzen, dépasse vers le Sud les palmeraies et descend la rive gauche du Ziz jusqu’à Taouz à 60 km dans le Sud-Est. Il l’occupe sans coup férir le 28 février; les habitants se soumettent tandis que le service des Affaires Indigènes entame une forte action politique sur les Aït Khebbache.
Cependant, la conquête du Tafilalet ne peut se faire sans réduire au préalable le bloc des Aït Yafelmane qui occupent la vallée de l’oued Rheris et ses abords, entre le Haut-Atlas et le Tafilalet. Cette vallée abrite les palmeraies du Tadighoust, du Rheris, de Tilouine et de Touroug, dont le chapelet trahit la présence bien souvent souterraine, du fleuve saharien. Cette région une fois occupée, les Filaliens ne pourront espérer aucun secours des Aït Moghad, nouvellement ralliés au Makhzen.
L’offensive déclenchée le 18 novembre 1931, les résultats sont brillants dans tous les secteurs : au Nord, le lieutenant-colonel Burnol réussit à fixer les Aït Yafelmane de l’Amsed et occupe le ksar d’Agoudim. Sa présence en ce lieu garantit la sécurité de l’aile droite des troupes d’attaque; au Sud, Tarrit part de Guefifat et s’empare du jebel Agni et de Touroug, afin d’interdire aux dissidents de l’oued Ferkla toute intervention sur l’aile gauche du dispositif. Les dissidents accrochent le groupement Denis sur la crête qui domine Tadighoust, mais ils sont repoussés après l’entrée en ligne des réguliers; une deuxième réaction très violente de l’adversaire, au commencement de la nuit, est encore brisée.
De son côté, le groupement Lenoir arrive, vers 9 heures, à proximité du bordj de l’Arembo; durant la préparation d’artillerie, le colonel Lenoir reçoit une blessure grave due à l’éclatement prématuré d’un obus. La prise de Tifounassine, à la suite d’un vif combat, ouvre la palmeraie du Rheris à la colonne.
Le 19 novembre, les habitants de tous les ksour, depuis Touroug jusqu’au Tadighoust, sollicitent l’aman. Le 20, c’est au tour des Aït Moghad. Le 22, la palmeraie de Tilouine fait sa soumission. Ainsi, du Haut-Atlas au Tafilalet, tout le cours du Rheris est, en moins d’une semaine, pacifié : cette opération des forces Makhzen a un retentissement considérable dans tout le Sud; 6500 tentes ou familles, représentant 40.000 individus, se sont rendus. L’investissement du Tafilalet peut se dérouler, les ksour de la grande palmeraie ne recevront pas d’aide de l’extérieur.
Les observations aériennes révèlent que les palmiers, pour la plupart atteints du bayoud, sont clairsemés et ne portent que des palmes anémiques; la végétation arbustive, qui, dans les palmeraies, forme habituellement des taillis touffus, est pauvre et rabougrie. L’oasis n’est qu’insuffisamment irriguée par l’oued Ziz et souffre cruellement du manque d’eau. La progression de combat y sera donc facile, si elle n’était gênée par les murs en pisé qui entourent les misérables propriétés des ksouriens et par les séguias, la plupart du temps asséchées, mais souvent profondes, qui constituent de réels obstacles, murs et séguias permettant de faciliter la résistance ou les embuscades.
A l’intérieur, les centres habités sont rares : vers le milieu de la palmeraie les ksour de Rissani, où réside le chérif Belkacem n’Gadi, de Dar El Beida et de Tighemart sont les plus importants. Le général Huré, commandant en chef des troupes, qui possède en mains le plan d’investiture de Giraud, doit quand même rendre des comptes au Résident général Lucien Saint à Rabat, qui lui-même doit transmettre au ministère à Paris.
En attendant la réponse, les troupes poursuivent activement l’organisation des pays soumis et la construction des pistes. Mais une telle attente ne va pas sans présenter de graves inconvénients : l’incertitude au sujet des décisions du Gouvernement, toujours à calculer le coût de telles interventions des colonnes, provoque dans les unités un certain malaise.
Cette stagnation par contre, exalte le moral des tribus dissidentes dont les émissaires proclament sur les souks que le gouvernement français ne permettra jamais à ses généraux de s’attaquer au Tafilalet et que tout ce qui a été fait dans le Rheris l’a été contre son gré. En fait, les incursions ennemies dans les lignes Makhzen se multiplient : le 15 décembre 1931, un gros djich Aït hammou ose s’attaquer à une colonne de police composée de deux Goums. Les dissidents sont mis en fuite par le capitaine Henry de Bournazel en laissant sur le terrain de nombreux cadavres et des armes; mais il n’en est pas moins symptomatique qu’un djich a osé s’attaquer à un détachement Makhzen de 300 fusils.
Enfin, le 31 décembre 1931, parvient à Rabat l’autorisation tant attendue. Le jour de l’attaque est fixé au 15 janvier pour profiter de la pleine lune et laisser aux troupes du Nord le temps de venir renforcer le Groupe mobile des Confins. Mais quel personnage est l’adversaire du Makhzen?
Belkacem N’Gadi est le chef, autant redouté pour sa cruauté que pas sa bravoure. Il est originaire des Angad, tribu de la région à l’Ouest d’Oujda. Il a, à sa disposition, des contingents divers, de Berbères et d’Arabes du Sud, transfuges et déserteurs. Il peut compter sur le concours des Aït Hammou, petite fraction dissidente des Aït Tseghrouchen, reconnue comme la tribu la plus guerrière encore en dissidence au Maroc. Ils sont peu nombreux mais ils comptent faire marcher contre les importants contingents de partisans du Makhzen la multitude des ksouriens, pauvres gens tyrannisés par le chérif et ses sbires; souvent anciens esclaves, pacifiques par nature, ils seront forcés, sous peine de mort, de combattre. Ils représentent un effectif de 15 à 20.000 hommes mal armés.
Photo originale du même accident
Déroulement des derniers combats. Extrait du rapport officiel du général Giraud.
Dans la nuit du jour J-1, le groupement du lt-colonel Trinquet s’est porté de Merzouga à Megta Sfa, soit 30 km sans piste, sans incident. En même temps, les groupements des colonels Denis et Lahure couvraient l’étape, dépassant pour certaines unités 50 km, qui les amenait, au point du jour, entre Megta-Sfa et la Gara-n’Douar, avec l’occupation de Taguerrount. Toutes les pistes partant du Tafilalet vers l’Ouest et vers le Sud étaient ainsi barrées, l’investissement était complet.
A ce moment, à 7 heures, commençait la préparation. Elle a été effectuée par trois batteries de 75 et une section de 155, sans oublier l’aviation prenant à son compte les ksour de Seffalat, hors de portée des tirs d’artillerie. Minutieusement préparés d’après les indications des A.I., contrôlés par l’aviation, ces tirs ont obtenu pleinement le résultat recherché. Ils ont brisé les nerfs, sinon les muscles des partisans de Belkacem, épargnant les ksour depuis longtemps en relation pour un ralliement avec le Makhzen.
Quant à l’agitateur lui-même, ils l’ont forcé, dès 7h30, à abandonner Rissani et à aller se réfugier dans une tour de garde isolée sans pouvoir donner un ordre ni organiser la résistance. La seule attaque, faite à 7 heures, fut celle de Dar el Beida et de la crête rocheuse située à 2 km au Nord de ce ksar. Elle fut exécutée à toute allure par les tirailleurs algériens du Lt-colonel Cornet et ne coûta qu’un lieutenant tué et un tirailleur blessé. Ce devaient être les seules pertes des troupes régulières, ce jour-là. La réaction contre la position immédiatement organisée fut insignifiante et facilement brisée. A la même heure, la palmeraie des Aït khalifa était occupée sans résistance par un bataillon de Sénégalais.
A 11 heures commença l’attaque proprement dite, la pénétration à l’intérieur de la palmeraie, dans le dédale des jardins, des séguias, des foggaras, constituant les obstacles les plus imprévus et les plus dangereux... s’ils avaient été défendus. Or la défense ne se manifesta qu’au débouché de l’attaque du groupement Schmidt devant Tizi n’Taguin. Quelques dizaines d’hommes de Belkacem vinrent se heurter aux partisans du cercle d’Erfoud, appuyés par deux sections de chars, un goum et deux groupes francs. Ils furent balayés. Au pas de course, le Tizi n’Taguin, Zerba, le jebel étaient enlevés. A gauche, El Feïda ouvrait ses portes aux mokhaznis du lieutenant Penfentenyo.
Photo originale de la targuiba, cérémonie officielle de soumission,
avec dépôt des armes et sacrifice de plusieurs jeunes taureaux.
Plus loin, tous les ksour des Chorfas faisaient leur soumission au capitaine Henry de Bournazel, dont la réputation de guerrier invincible le suivait depuis le Rif. A 15 heures, l’encerclement de Rissani était complet. A 16 heures, l’attaque était donnée au ksar de Belkacem. Enlevé en un tour de main, le ksar était envahi par la foule des partisans du caïd Baba qui s’y livraient à un pillage en règle avant que le capitaine Thiabaud pût remettre de l’ordre dans la foule enfiévrée.
Les femmes de Belkacem, parmi lesquelles se trouvait la fille du Zaïani, étaient mises à l’abri. Le ksar, débarrassé de ses envahisseurs, était occupé par une garnison. Les pertes étaient de quatre partisans tués et six blessés. La nuit tombait sans qu’on ait pu découvrir Belkacem N’Gadi. Il s’était, à partir de midi, réfugié près de la Zaouia Remel, sur la lisière du Tafilalet. Les rares tentatives de sorties faites par des groupes d’isolés avaient été prises sous le feu de l’artillerie du groupement Denis ou des A.M.C. (automitrailleuses de cavalerie) patrouillant le long de la palmeraie. Les bivouacs des troupes de barrage s’étalaient avec tous leurs feux de Rich Amelane au confluent du Ziz et de l’Arembo.
C’est entre Rich Amelane et le Rich Taguerrount que Belkacem et ses derniers fidèles se glissèrent, vraisemblablement entre 20 heures et 21 heures, sans être repérés. A 23h30, l’avant-garde des fugitifs vient heurter le 8e Spahis, installé en deuxième ligne à Taguerrount, avec la compagnie motorisée du 1er Régiment Étranger : combat de nuit violent où tombe le frère de Belkacem, tandis que la masse des fugitifs s’échappe dans toutes les directions. Au jour, dès que les traces sont visibles, le colonel Lahure commence la poursuite. Il est rejoint par les trois goums et l’escadron de Légion du commandant Suffren.
Le 27e A.M.C., parti de la Gara Medouar, marche dans leur sillage, la compagnie montée de la Légion, aménageant la piste au fur et à mesure de sa progression, est le soir du 16 janvier, à 10 km de Msissi. Le 8e Spahis la couvre à droite et à gauche. Une escadrille assure l’accompagnement. Après un engagement de nuit où est entièrement razzié un campement de Reggaga, Msissi est enlevé le 17 à 18 heures. Le ksar ouvre ses portes après une résistance sérieuse de l’arrière-garde de Belkacem. Celui-ci y est passé quelques heures plus tôt. Il fuit vers Tazoulalt. Conformément aux ordres reçus, le colonel Lahure ne pousse pas la poursuite plus loin.”
Le chérif Belkacem, depuis qu’il avait dû quitter en fugitif le Tafilalet où il avait si longtemps régné en maître, ne cessa de combattre le Makhzen, reculant toujours mais ne s’avouant jamais vaincu. Il fallut la poursuite endiablée des troupes du général Trinquet pour le réduire à la soumission, dans l’Anti-Atlas, le 11 mars 1933. Du point de vue politique, il n’était pas indifférent au gouvernement de Paris que la France ramenât au Makhzen l’oasis sacrée où se dresse le mausolée de Moulay Ali Chérif, ancêtre de la dynastie alaouite régnante, sépulture vénérée, demeurée si longtemps en Bled es Siba.