Au printemps 1937, après plusieurs années consécutives de sécheresse, ce fut la famine dans le Sud marocain. Fuyant la mort, les misérables populations qui n’avaient d’autres ressources pour vivre que leur cheptel et l’orge avec lequel elles faisaient leur pain, affluaient vers Marrakech. Pour les empêcher de remonter plus au Nord, où elles auraient apporté le typhus et grossi le nombre des sans travail, le Gouvernement, dans l’impossibilité de les refouler vers leurs douars d’origine, fit barrer les routes par des automitrailleuses, ce qui ne nourrissait pas les affamés que le service ramassait un peu partout, dans le bled et dans les villes.
Des distributions de farine furent organisées. Dans cette œuvre de solidarité nationale, les Chambres d’Agriculture, de Commerce et d’Industrie apportèrent quelques millions en argent; ce fut toute leur contribution. Un Comité de Secours aux Miséreux du Sud fut immédiatement créé par des groupements de fonctionnaires auxquels se joignirent bientôt les syndicats qui s’étaient créés en nombre à la suite des événements sociaux de 1936 et l’arrivée au pouvoir du Front populaire; événements qui s’étaient répercutés aux Maroc par de nombreux mouvements de grèves dans tous les secteurs d’activité. Des dons en nature furent recueillis, une vaste souscription publique fut lancée parmi les membres des organisations, dont le produit permit d’organiser des distributions de soupe en ville même de Marrakech où ils avaient afflué en masse. Jusqu’à la récolte suivante, des dizaines de milliers de malheureux furent ainsi secourus pendant quatre mois, sauvés ainsi d’une mort certaine.
Cette initiative des mouvements syndicaux montrant ce qu’on pouvait faire, sans gros capitaux, avec une bonne gestion et beaucoup de dévouement, fut, au début, mal vue par les Pouvoirs publics et le Patronat car elle souligna trop les insuffisances de leur propre action envers les populations musulmanes subissant cette tragique situation. Devant les résultats obtenus, il leur fallut bien se rendre à l’évidence qu’il leur fallait bien suivre le mouvement et participer à l’entraide d’une manière plus efficace et surtout plus conséquente.
A la fin de la campagne, la Résidence récompensa avec le ruban ou la rosette du Ouissam Alaouite les généreux donateurs des Chambres patronales. Il fut aussi question de décorer les membres du Comité de Secours aux Miséreux du Sud, d’obédience syndicale, mais la plupart refusèrent ces “hochets”. Un seul aurait mérité une décoration : M. Cazorla, mort, probablement du typhus, à son poste en distribuant la soupe dans un fondouk de Marrakech. Mais comme ce n’était qu’un humble auxiliaire, le Gouvernement refusa la Légion d’honneur réclamée pour lui à titre posthume par le Comité.
Lors de la fin de la pacification, la vallée du Drâa fut soumise à la période sèche d’un cycle qui vit son apogée en 1937 avec en conséquence une famine face à laquelle il fallut prendre des solutions rapides pour ne pas avoir à déplacer les populations comme cela avait été un moment envisagé. Le Protectorat importa donc de l’étranger des quantités massives de riz pour passer cette période cruciale. 1937 fut l’am rouz, l’année du riz qui servit pendant longtemps de référence dans les repères de la vie des gens du pays : “Il est né trois ans avant ou après l’am rouz.”
Une idée de ce qu’était alors l’état des oasis : palmiers desséchés, oliviers rabougris, aucune culture possible, les ksour bordant le fleuve abandonnés en partie. Bref, une misère noire, laquelle se compliqua d’une épidémie de typhus qui fit des ravages. On ne connaissait pas, à cette époque, de remède efficace et quelques anciens se souviennent encore des précautions d’alors comme les sachets de camphre cousus dans les vêtements.
C’est au cours de cette épidémie que le commandant Gaston Balmigère, chef du bureau des A.I. de Ouarzazate de 1935 à 1945, toujours sur le terrain afin d’enrayer l’épidémie et d’organiser l’accueil pour le soin des populations, fut contaminé par le typhus après l’avoir été par la typhoïde en 1935. Il devait en décéder en 1949. Une partie des photos présentées sur ce site proviennent de sa famille qui a bien voulu les mettre à la disposition de Jacques Gandini pour perpétuer son œuvre et sa mémoire.
Jean des Vallières. Extrait de : Extrême-Sud, sous le drapeau de la Légion étrangère. Albin Michel 1947
“Routes et pistes du cercle étaient obstruées de barrières gardées et la campagne entre ces points de passage constamment battue par des patrouilles de mokhaznis qui avaient l’ordre de tirer sur quiconque tenterait de franchir le barrage. Seuls y étaient autorisés les porteurs d’un certificat de vaccination, avec tampons rouge et bleu, correspondant aux deux piqûres indispensables. Encore ébouillantait-on leurs vêtements et ne pouvaient-ils emporter ni provisions, ni bagages, le mal se propageant par les puces qui ont au préalable piqué un rat pesteux.
L’exode augmentait chaque jour des populations dont il avait fallu incendier les villages et les récoltes, pour détruire en même temps les rats, véhicules terribles du virus. Tout ce que possédaient la famille, les amis et les voisins d’un pesteux était impitoyablement jeté dans le brasier. Comme il n’y avait pas un sac d’orge ou de blé, enfin, où un rat ne pût se cacher, les transports de vivres étaient interdits et la famine autant que la peste mettait en fuite les misérables hordes, dépouillées de tout, qui encombraient les chemins. Elles affluaient notamment autour de la petite infirmerie du cercle, impatientes de subir les piqûres qui leur permettraient de sortir de la zone maudite et d’aller se louer plus au Nord, dans les entreprises agricoles des régions épargnées.
Mais les deux piqûres se faisaient à quinze jours d’intervalle, durant lesquels ces centaines de loqueteux, harassés, affamés et sans gîte, n’avaient rien d’autre à faire que d’attendre sur place. Eparpillés dans les ruelles ou aux abords du douar, ils y couchaient par terre comme des bêtes. Beaucoup grelottaient de fièvre dans la poussière en feu, sous l’effet de la réaction très violente du vaccin et à peine arrivait-on à leur distribuer de temps en temps une soupe. Pour une demi-boule de pain, les mères, lorsqu’elles étaient trop âgées, vendaient leurs filles et les soldats ne cessaient d’enfouir aux alentours les petits cadavres de nourrissons abandonnés en route par des femmes exténuées ou dont l’effroi avait tari le lait. La dysenterie et le tétanos achevaient de dévaster ces lugubres campements, tant bien que mal surveillés par la troupe.
Les arrivages de vaccins étaient très lents. On allait alors au plus pressé. Les enfants passaient d’abord, puis la troupe et les partisans à qui incombait de procéder à l’évacuation et à la destruction des douars et des villages contaminés.”
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