Terrasse Henri. Extrait de :
Kasbahs berbères de l’Atlas et des oasis. Ed. Horizons de France 1938
La tighemt, l'irherm, la kasbah
Le plan de la tighremt a plus d’unité et de simplicité que celui du ksar. C’est toujours un édifice de dimensions moyennes et de plan carré, plus rarement de plan barlong, d’au moins deux ou trois étages. Les quatre tours qui flanquent les angles de ce petit château fort dépassent nettement les courtines. Les plus petites tighremts n’enserrent qu’un étroit patio qui ne règne souvent qu’aux étages supérieurs. En haute montagne, le patio peut disparaître tout à fait. Les plus grandes ont une cour intérieure autour de laquelle se répartissent des corps de bâtiments qui s’appuient à la courtine. La porte, assez large pour laisser passer un animal de bât, s’ouvre au milieu d’une des façades. Elle est toujours couverte d’un linteau. Les Berbères ignorent l’art de placer la porte au voisinage immédiat ou sur la façade latérale d’une tour. Mais la tighremt s’entoure parfois d’une première enceinte. Dans cette basse-cour, où se voient des écuries et des étables, on rassemble le bétail pour la nuit.
Le rez-de-chaussée, le premier et souvent même le second étage de la tighremt sont très pauvres en ouvertures. On ne trouve là que des magasins et parfois, au rez-de-chaussée, des écuries. Les hommes vivent aux étages supérieurs, où il est possible de percer des ouvertures plus nombreuses et plus larges - voire de véritables fenêtres - et où le patio laisse entrer l’air et la lumière. Les pièces aménagées dans les tours d’angles sont éclairées de deux côtés : en dépit de leur exiguïté elles sont très recherchées.
Malgré les plans rudimentaires, les tighremts n’en donnent pas moins aux visiteurs une double impression de complexité et d’encombrements. La faible portée des charpentes impose un cloisonnement extrême, tandis que l’épaisseur des murs de béton réduit les espaces libres. Ces maisons riches en couloirs et en réduits obscurs, avec leurs escaliers raides et étroits qui se développent par volée de trois à cinq hautes marches, paraissent par leurs dispositions plus citadines que campagnardes. Mais les lourds murs de terre, les madriers et les troncs de palmier qui soutiennent les plafonds trahissent une rudesse de technique qui s’accorde mal avec les dispositions assez complexes de ces tighremts. On reste étonné de la quantité de matière et de la somme de travail qu’ont exigées ces hautes bâtisses d’une si rare élégance.
En raison de l’insécurité qui régnait autrefois en permanence dans la vallée du Drâa, tous les éléments de la population vivaient dans des villages fortifiés construits en pisé. De tels villages - que les touristes européens ont l’habitude de désigner indistinctement sous le nom de kasbahs ou ksour, pluriel de ksar - sont plus souvent appelés, dans le Drâa, irherm, plur. irhermane en berbère. Seuls les nomades n’habitaient pas dans les ksour, ils établissaient de petits campements à l’extérieur des murailles, ou plantaient leurs tentes dans la palmeraie près des parcelles qu’ils avaient à surveiller.
Chaque cité était à la fois place de guerre et magasin à vivres. La plupart de ces places fortes sont très anciennes, leur architecture traditionnelle, belle et puissante, survit encore en maints endroits; élevées, les tours et les courtines sont ornées d’arcatures et de dessins géométriques formés par la disposition de briques en terre crue; d’une grande beauté, les coloris chauds et lumineux de la terre et des enduits sont mis en valeur par les tons vert-de-gris de la palmeraie.
En amont, où la vallée était moins large, les kasbahs étaient situées en dehors de la palmeraie, sur le rocher, à la fois pour ne pas gaspiller une seule parcelle de terre irrigable et pour être à l’abri des inondations en cas de crue. En aval où l’oasis s’étend par endroits sur plusieurs kilomètres de large, les villages étaient dispersées dans la palmeraie, à proximité de leurs terroirs, afin d’être à même de les surveiller et d’irriguer leurs jardins, jour et nuit sans relâche, soit au moyen des rigoles, soit en tirant l’eau des puits selon un horaire déterminé si le puits était commun.
Les remparts étaient munis de tours d’angles et n’étaient percés que d’une seule ouverture, fortifiée elle aussi; un gardien la surveillait sans cesse et, le soir au crépuscule, il en fermait les portes. A l’intérieur, de rares ruelles, souvent couvertes, étaient tracées à angles droits, découpant des quartiers où se groupaient les familles. Les terrasses jouaient un grand rôle dans la vie des ksouriens : c’est là qu’au cours des nuits d’été, on respirait un peu d’air frais et une fraîcheur relative car le pisé, chauffé tout le jour au soleil, rayonnait la nuit sa chaleur, transformant la kasbah en un véritable four sans qu’il soit possible de s’en évader à cause de l’insécurité.
Les fortinsJusqu’à la fin de la pacification, le pays vivait dans l’insécurité, toujours menacé par les agressions des nomades sahariens ou en proie aux luttes intestines; beaucoup de ces dernières étaient déclenchées par les rivalités pour s’emparer de l’eau. Aussi, de génération en génération, les tribus se sont-elles battues pour la conquête et la défense des têtes des canaux d’irrigation, les séguias. C’est pourquoi l’on peut encore voir de nombreux fortins construits près des têtes de séguias où des hommes d’armes se tenaient en permanence.
De plan carré, à quatre grosses tours, ces fortins étaient construits en pisé sur des soubassements de galets; toute la base était remplie de terre et de pierraille, ce qui assurait sa résistance aux assauts des hommes comme à ceux des crues. L’ouverture d’entrée s’en trouvait reportée à trois mètres au-dessus du sol extérieur nécessitant l’emploi d’une corde et rendant plus ardu l’enlèvement d’un tel bastion (appelé en arabe
le-qsiba). Les rives du Drâa sont jalonnées de ruines de ces fortins; ils se dressent partout où se trouve exposé un ouvrage d’irrigation dont dépend la survie d’un district éloigné en aval. Les Roha n’avaient pas moins de quatre fortins successifs pour défendre leur canal que les gens du Tinzouline s’efforçaient toujours de détruire.
Les tours de guetOutre ces fortins, de nombreuses tours de guet étaient disposées aux alentours des villages et dans les palmeraies, surveillant les canaux secondaires et les rigoles, protégeant les travailleurs agricoles. Ces tours de vigies, d’environ quatre mètres de côté à la base, étaient bâties sur le même principe que les fortins : une base pleine, deux étages, et la terrasse que protégeait un mur de tir. Ces tours (berbère :
agouddim ou
el'borj) étaient occupées jour et nuit par des sentinelles : le jour, pour empêcher les brigands de venir attaquer les puiseurs d’eau arrosant les jardins; la nuit, pour que les maraudeurs ne puissent voler l’orge sur pied ou d’autres récoltes.
Le rite de la pluie : TalrhonejateLa valeur de l’eau courante du Drâa qui chassait le spectre de la sécheresse et de la famine était à l’origine de rites de magie sympathique pour susciter la pluie et provoquer les crues de l’oued. Ardemment désirée, l’invasion de l’eau était implorée avec ferveur par des prières et des sacrifices. Le plus connu des rites est celui de
Talrhonejate qui tient son nom de la grosse cuillère à pot en bois utilisée pour accomplir la cérémonie.
Ce rite païen consistait à promener, avec plus ou moins de pompe, cette cuillère habillée en fiancée.
Talrhonejate serait l’image d’une ancienne divinité personnifiant la terre et fiancée d’
Anezar, la pluie (celle-ci appartenant au genre masculin dans la langue berbère, comme en arabe).
Talrhonejate provoquait le génie de la pluie qui, séduit, s’épanchait en multiples averses qui faisaient grossir les oueds; c’est grâce à elle que les moissons pouvaient surgir des profondeurs de la terre.