François Bonjean. Extrait de : Au Maroc en roulotte. Ed. Hachette 1950
Arrivant par la route de Skoura, le site de Ouarzazate se déplie soudain en face de moi. Le Grand Atlas décrit un arc immense qui occupe presque la moitié de l’horizon. La belle chaîne, radieuse dans la claire matinée d’hiver, portant sur sa chair rose et nue des stries de neige comme autant d’hermines ! Au-dessous de la masse, de vastes tables s’étendent jusqu’à l’oued, où elles se terminent en falaises.
Je rentre avec la route dans le lit de l’oued et traverse la séguia de la rive droite; le sel forme des traînées sur les berges. Parvenu à ce point, on voit, à plus d’un kilomètre, s’articuler les différentes parties de Ouarzazate (1). Aux extrémités, deux masses colorées, chacune sur sa butte, le poste militaire à gauche, à droite la kasbah de Taourirt. Vu d’ici, le poste atteste le souci, chez ceux qui l’ont construit, de ne pas trop détonner dans le paysage.
Bâtiments et tours sont de médiocres imitations du style kasbah. Sur une autre butte, au milieu de l’intervalle, faisant bonne figure entre deux masses, le gîte d’étape dont la tour est l’oeuvre d’un maître maçon de Skoura.
Bien que n’ayant pas le genre de beauté qu’on lui trouve quand on arrive de Skoura, la kasbah de Taourirt s’impose à l’attention. Je compte sept ou huit plans étagés en hauteur depuis celui du rempart en surplomb sur l’oued. Les deux donjons jumelés marquent le point culminant.
1928. Arrivée sur la kasbah de Taourirt
Parfois l’enceinte est formée par des bâtiments trapus à deux étages. Les tours des tirhemt dépassent de peu les corps de logis. L’ensemble dessine une pyramide aplatie, ou encore, dirait un poète, un sein, dont les donjons seraient le mamelon. A mesure que l’on avance, on distingue mieux les hautes bâtisses, quadrilatères bien lisses, portant à leur sommet une rangée de fenêtres serties de chaux. Fermement campées sur leurs assises, elles s’effilent en prenant de la hauteur.
Les verticales sont, en réalité, autant d’obliques dont le point de fuite est quelque part dans l’immobile azur. Ainsi se trouve adouci le côté rude, inquiétant, de ces architectures. Dans leur texture de forteresse, elles admettent, à dose pour ainsi dire homéopathique, un levain d’idéalisme. En même temps que des filles de la peur, elles sont des emblèmes de certaines formes de la liberté.
Puissamment compartimentées et hiérarchisées, la façon dont on les voit administrer l’espace constitue une leçon de mesure, d’équilibre. Longueur, largeur et hauteur n’y apparaissent pas comme les seules dimensions dont l’architecte ait tenu compte. Mesurées par le pied, la main, la coudée, elles expriment les rapports secrets du microcosme et du macrocosme, font briller dans le ciel du désert le nombre d’or. Comme dans toutes les œuvres orientales, une bonhomie plus savante qu’on ne le croirait a réservé ce que les Arabes appellent “la part d’Allah”.
Cette part d’Allah apparaît grande dans le champs clos de l’Ouarzazate, où tant d’ambitions séculières se sont affrontées. La palmeraie a appartenu tour à tour aux nomades remontés du Sahara et aux montagnards descendus de l’Atlas et du Siroua. Les chez glaoua, affiliés à la confrérie Tijania, ont bénéficié à l’origine de la baraka d’une zaouïa. Ils continuent à donner des marques de leur sollicitude à la fois aux représentants du soufisme et à ceux de l’Islam exotérique, oulemas et cadis.
(1) A l’époque, la piste passait plus au Sud, actuellement pratiquement en partie sous les eaux du barrage en eau.
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