La titre La Route inconnue est à la fois une réalité et un symbole réalité puisqu’il s’agit de la reconnaissance faite par Charles de Foucauld à travers le Maroc en 1883 et 1884, symbole du chemin parcouru par sa conscience pendant ces deux années où il prit contact avec la civilisation islamique de la rude existence du bled.
Aussi l’exposé succinct des événements dans un film de ce genre est-il insuffisamment expressif. Il faut d’abord définir l’esprit dans lequel le scénario a été conçu et l’atmosphère dans laquelle il sera réalisé.
Léon Poirier a achevé La Route inconnue, après trois mois d’extérieurs au Maroc où le film a été pratiquement tourné, par quelques raccords dans un studio de Paris.
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Ce que vous me voyez faire ici, nous a-t-il confié, n’est pas même le dénouement d’un long travail. Mon film a été fait, et ne pouvant être fait qu’au Maroc. Je ne reprends ici, et cela me demandera à peine deux jours, que quelques plans d’atmosphère parisienne qui étaient impossible de réaliser là-bas, et quelques raccords sans importance.”
... Et si la documentation est la base même de la La Route inconnue, ce film n’est pas plus un documentaire que l’ont été les autres films de Léon Poirier, comme Verdun, vision d’histoire ou L’Appel du silence. L’imagination apporte en effet sa part constructive. Ce ne sera pas qu’un itinéraire parmi des paysages magnifiques et à travers des coutumes inconnues, mais aussi surtout l’évolution psychologique d’un jeune homme de 24 ans qui cherche et trouve son destin au milieu d’une aventure dramatique. La Route inconnue est un film humain dont l’intention est de faire vivre autour de Charles de Foucauld, point central, héros populaire, ceux qui l’ont aidé ou combattu pendant son héroïque périple de 4.000 km. Ceci implique une action intense avec de nombreux personnages français, marocains, arabes et israélites.
Léon poirier, contre vents et marées, reste fidèle à son style. Il fuit l’artifice, le studio, le procédé. Sa manière, c’est la sincérité; sa recherche : la simplicité, rien de cinéma dans sa méthode hormis cet art naturel qu’il connaît bien. La grande vedette de ce film sera encore cette fois la vérité. Bien entendu, l’interprétation des rôles comporte d’excellents artistes, aimés du public : Robert Darène, pour Charles de Foucauld, Lisette Lanvin, Lucas Gridoux, Abel Jacquin, Léonce Ben Soubira, etc. A côté d’eux, l’interprétation israélite et marocaine est assurée par des indigènes sélectionnés localement, qui parlent leur langue et non, comme cela se voit ordinairement, par des “arabes professionnels”, venus de France et affublés de djellabas et de burnous sortant du pressing qui semblent pour eux des déguisement.
A noter que dans la distribution figure la femme du sympathique Darène : Marie-José Darène, qui incarne la sœur de Charles de Foucauld. On verra également, dans un personnage féminin marocain, Zeinane Guéls, authentique beauté marocaine, ex miss Marrakech.
Il est normal, à propos de La Route inconnue de rappeler L’Appel du silence qui retraçait, dans sa généralité, toute la vie du Père de Foucauld. On peut alors se demander pourquoi reprendre un thème déjà traité. Léon Poirier nous a expliqué les raisons qui ont motivé la réalisation de son nouveau film qui ne reprend nullement le thème de L’Appel du silence :
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Lorsque j’ai montré au Maréchal Lyautey, il y a bien une quinzaine d’années, mon projet de film sur Charles de Foucauld, il eut l’indulgence de trouver conforme à ce qu’il souhaitait et m’en félicita. C’est ainsi que je réalisai L’Appel du silence. Pourtant à cette époque déjà le Maréchal Lyautey me fit remarquer qu’il fut regrettable que dans mon film on ne puisse pas développer une tranche de la vie de Charles de Foucauld, celle de l’évolution du jeune occidental, au milieu de la vie de l’Orient, la révélation du spirituel à cette âme toute imprégnée du matérialisme français de la fin du XIXe siècle... Il me conseilla donc de faire un film spécialement sur les deux années 1883 et 1884 qui marquèrent un tournant dans la vie de Charles de Foucauld. C’est pourquoi depuis cette époque, j’ai travaillé à un scénario, celui-là même qui est devenu La Route inconnue. C'est un peu comme un gros plan, pour employer un terme de métier, de L’Appel du silence. Un gros plan qui avait été escamoté mais qui a une valeur énorme.”
Ce qu’il faut dire encore, c’est que le sujet de La Route inconnue est purement humain et qu’il ne s’agit pas d’un épisode de la pénétration du Maroc. Bien au contraire, c’est en réalité Charles de Foucauld qui fut pénétré par la foi absolue d’un peuple pour qui la prière est une règle de vie. Il n’y a pas de conflit, la confrontation de deux conceptions du monde, confrontation qui tirera son intérêt des conditions dans lesquelles le film a été réalisé.
C’est la vie marocaine elle-même que l’on verra dans La Route inconnue, de Fès à la région saharienne. Pas de roman truqué, mais la sincérité d’un document d’où se détacheront de nobles figures musulmanes comme Sidi Ben Daoud ou le Hadj Ben Rhim, à côte du grand français qui fut leur ami. Si les caractères sont développés, les événements enchaînés et construits donneront un sens dramatique et spectaculaire au film qui a été tourné entièrement sur les lieux que visita Charles de Foucauld. Il sera en même temps une manifestation d’union où chacun conservera sa grandeur, une évocation de la vie musulmane, une page de l’histoire d’une grande âme.
Certes Charles de Foucauld à rencontré des difficultés sur sa route, mais elles sont présentées dans le film comme ayant leur cause première dans l’intrigue occulte d’une puissance européenne pour accabler celui dont l’influence toute faite de fraternité humaine contrariait ses ambitions dominatrices et qu’elle finit par terrasser en armant la main qui le 1er décembre 1916, à Tamanrasset, le frappa au bout de La Route inconnue.