Au début de la Première Guerre mondiale, lorsque le général Brulard, chef de la Région militaire de Marrakech, est désigné pour prendre le commandement d’une division sur le front, le général Lyautey n’hésite pas; le colonel de Lamothe est l’homme qu’il faut pour le remplacer au commandement de la Région et du groupe mobile de Marrakech. A ce poste de confiance où il est responsable de toute la façade Sud du Maroc atlantique, de Lamothe va donner toute sa mesure.
Il s’impose d’emblée comme l’animateur de la politique dite des “grands caïds”, définie par le Résident général, dont il s’affirme le disciple convaincu et fidèle. Dès sa prise de commandement, elle lui permet de ramener sous l’autorité du Sultan toutes les tribus de la vallée du Sous, qui s’en étaient affranchies depuis l’expédition de Moulay Hassan en 1886. Toute la plaine est virtuellement soumise autour de trois points d’appui d’Agadir, Taroudant et Tiznit. Haïda ou Mouis, nommé pacha de Taroudant et naïb du Makhzen (représentant du gouvernement), en récompense des services qu’il a rendus dans la lutte menée contre El Hiba, est le pilier de la politique makhzen dans la région : tous les caïds relèvent de son autorité pour les questions de police et de sécurité.
Mais pendant que la guerre fait rage en France, la situation se dégrade dans le Sous sous l’action d’agents allemands qui entretiennent une agitation fébrile parmi les tribus de la vallée, difficilement tenues en main par Haïda ou Mouis. Celles de la montagne sont acquises à El Hiba, maintenant réfugié au Kerdous après la déroute de ses armées devant Marrakech, d’où il continue à prêcher la guerre sainte contre les Français et leurs alliés. Par mer, à partir de Mogador, le colonel de Lamothe se rend le plus souvent possible à Agadir. Mais de plus il doit aussi poursuivre l’oeuvre entreprise par le colonel Mangin et étendre la pacification vers l’Est, au-delà de Demnate et d’Azilal, à la région des Aït Attab. Il bénéficie certes du concours efficace de Si Madani el Glaoui, mais il se heurte à l’hostilité de Sidi Mah, le marabout de la zaouïa Ahançal.
Il lui est donc très difficile de diriger en même temps, depuis Marrakech, une action politique cohérente et soutenue dans la vallée du Sous où tout est en continuelle évolution, et dont il est séparé par la barrière du Haut-Atlas. Il décide alors d’avoir sur place un représentant permanent et obtient l’accord du général Lyautey pour confier au capitaine Justinard une mission temporaire, d’ordre politique et militaire, dans la région de Tiznit et de l’Oued Noun. Justinard, celui que les Aït Ba Amrane appellent déjà le “capitaine chleuh”, réussit à merveille dans cette mission spéciale qui fait de lui le “Lawrence français”. Il parvient à neutraliser et à contraindre au repli sur les Canaries la “mission Probster” mise à terre quelques jours auparavant par un sous-marin allemand dans les parages de l’embouchure de l’oued Assaka. Mais, sentinelle avancée face à la dissidence, Justinard va se trouver dangereusement exposé après le combat malheureux au cours duquel Haïda ou Mouis est tué, le 7 janvier 1917. La tête du pacha est apportée en trophée à El Hiba; sa harka est dispersée, ses canons récupérés par le vainqueur. La révolte gronde dans tout le Sous.
A Marrakech, de Lamothe, devenu général, examine avec les grands caïds la situation créée par la défaite et la mort du pacha de Taroudant. Ceux-ci lui exposent que, après un tel échec, ils ne sont pas en mesure de rétablir l’ordre avec leurs seules forces, et que l’intervention d’un groupe mobile leur parait indispensable. De Lamothe prend alors sa décision : avec 5000 hommes, qu’accompagnent les harkas du Glaoui et du Goundafi, il franchit l’Atlas au Tizi n’Machou, atteint la vallée du Sous et se présente le 15 mars 1917 sous les murs de Tiznit, où le capitaine Justinard croit revivre l’entrée des troupes du général Moinier à Fès, six ans plus tôt. Précédée des deux harkas auxquelles se sont joints les contingents d’el Hadj Hoummad, fils de Haïda ou Mouis, la colonne se remet en marche le 24 mars au soir en direction du ksar de Ouijjane, au pied de la montagne dissidente. Elle y trouve une résistance inattendue, que ne brise pas l’intervention de l’artillerie. En fin d’après-midi, el Hadj Thami el Glaoui charge l’un de ses lieutenants, Si Bihi n’Aït Chaïb, d’occuper de nuit, par surprise, avec une centaine d’hommes choisis par lui, les crêtes dominant le ksar et la source. L’opération se déroule sans incident. A l’aube, le Glaoui et el Hadj Hoummad d’une part, le Goundafi de l’autre, déclenchent l’attaque. La résistance est violente mais elle est gênée par la présence des hommes de Bihi sur une position qui domine le champ de bataille. Bien soutenues par la cavalerie de la colonne que commande le capitaine de Loustal, les harkas atteignent bientôt leur objectif et occupent le ksar abandonné par ses défenseurs.
Se retournant vers le Sud, le général de Lamothe parcourt ensuite tout le pays des Aït Ba Amrane, avant de prendre, le 17 avril, le chemin du retour vers Tiznit. Dès qu’ils comprennent que la harka revient en arrière, les dissidents se ruent à sa poursuite. Admirable de bravoure, chargeant sabre au clair, étendard au vent, à la tête de sa cavalerie, el Hadj Thami repousse l’adversaire et lui inflige des pertes sévères, s’emparant d’un grand nombre d’armes et de chevaux. A la fin de cette journée au cours de laquelle le Glaoui a combattu sans cesse au premier rang, ayant eu deux chevaux tués sous lui, il est l’artisan incontesté de la victoire. Après ces deux opérations, le pays dissident n’est certes pas conquis et El Hiba est toujours dans la montagne où il fait dire la prière en son nom puisqu’il s’est nommé Sultan. Mais de Lamothe ne veut pas se laisser prendre dans l’engrenage d’une nouvelle expédition aventureuse; il lui suffit d’avoir rétabli la situation dans l’état où elle se trouvait à la mort du pacha Haïda. Pour la maintenir, il laisse à Tiznit le caïd Goundafi, nommé pacha de la ville et naïb du gouvernement chérifien. Le capitaine Justinard demeure auprès de lui en qualité d’agent de liaison et de conseiller technique. Mais en même temps, la situation s’est aggravée dans l’Est et au Tafilalet où un autre prétendant, Sidi Mohamed n’Ifrouten, s’est nommé Sultan. Pour y faire face, le général Lyautey rattache le Territoire du Sud à la région de Meknès et donne au général Poeymirau le commandement de toutes les troupes qui y sont stationnées. En outre, il donne au général de Lamothe, à Marrakech, les instructions nécessaires pour entreprendre, avec les seules forces du pacha el Hadj Thami, une opération de diversion par l’Ouest qui devra prendre à revers les dissidents.
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