Dans les ordres du jour du commandement affichés dans les postes, on pouvait y lire des passages de ce genre :
"Malgré les difficultés inhérentes à l’état des pistes, à la fatigue du matériel, au danger des ravitaillements poussés jusqu’aux premières lignes, les convois ont, jour et nuit, sans une défaillance, transportés sur l’avant vivres et munitions.”
Et encore :
“Le transport sans un à-coup des trois brigades mixtes constitue un véritable record à l’entreprise...
Le général commandant supérieur rend hommage aux qualités d’assurance, à l’esprit de sacrifice de ces modestes artisans du succès...”
C’était signé Général Naulin et daté du 9 octobre 1925.
Pierre Bonardi. Extrait de : La marche pacifique. Edition des Portiques 1932
Plus tard le général Giraud rêvait de déplacer ses batteries pour l’investissement du jebel Sagho. Il avait pour cela des raisons qui ne sont pas discutables, mais il n’osait espérer que des archanges descendraient du ciel pour le satisfaire. Dans ce sable ! Sans piste !
Il s’en ouvrit aux transporteurs qui assuraient les liaisons vers le Sud depuis que la route du Tichka avait été ouverte.
“Pourquoi pas ?” répondirent ces nouveaux chevaliers de l’aventure.
Et le jour, lorsque sonna l’heure H, les canons de la Batterie de Marche de la Légion, cantonnée à Ouarzazate en attente, se trouvaient au point que le général avait indiqué. Les camions civils avaient chargé le groupe d’artillerie, les servants compris, avaient foncé vers le Sagho et mis la batterie en place. Le capitaine d’artillerie, stupéfait du résultat, jurait que “les conducteurs, animés d’un allant et d’un entrain remarquables, ont fait preuve du plus grand dévouement joint à un certain mépris du danger qui n’a pas été sans faire l’admiration de tous”. Ils furent tous récompensés par le Mérite chérifien.
Tout le temps que dura la pacification, de nouveaux centaures peuplèrent les pistes de l’Atlas et du Sud. C’étaient les conducteurs de camions, courbés sur leur volant, les yeux rivés sur des sols inconnus pour respecter leurs engagements envers l’Armée. De nouveaux centaures dont un grand chef a pu dire par un ordre général : “Ils auront droit, quand sonnera l’heure de la victoire, à une large part de la reconnaissance du Maroc.”
Extrait de : La pacification du Maroc. Dernière étape : 1931-1934. Editions Berger-Levrault 1952
“Nous utilisons nos effectifs au maximum en les transportant rapidement des régions où ils n’étaient pas ou plus indispensables dans celles où leur présence va devenir nécessaire. De tels transports ne peuvent se faire que grâce aux puissants moyens de l’entreprise civile dont disposait l’Armée au Maroc, l’entreprise Epinat. Je trouve chez ses dirigeants et auprès de son personnel le concours le plus dévoué, les initiatives les plus hardies et un art consommé dans l’utilisation du magnifique matériel dont ils disposent.
Pour la première fois au Maroc, on transporta par camion des unités de toutes armes avec leur personnel, leur matériel et leurs équipages sur des pistes dont beaucoup venaient à peine d’être ouvertes, et c’était un spectacle très inattendu pour les indigènes que celui des longues caravanes de camions sur certains desquels des mulets étroitement serrés les uns contre les autres contemplaient gravement le paysage.”
Parking de camions en attente de convoi
En 1932, la situation autour du jebel Sagho obligea les autorités militaires à prendre des mesures spéciales pour assurer la sécurité des pistes et protéger les soumis. Des A.M.C. (1) blindées assurèrent un dur service de patrouilles; des camions Saurer de l’entreprise Epinat, armés de mitrailleuses et protégés par des blindages provenant d’A.M.C. hors d’usage, patrouillèrent également le long des pistes.
“Le Maroc a toujours été le pays du paradoxe. c’en était un certainement que de voir une partie du service de sécurité des routes du sud confié à des camions civils conduits par des chauffeurs civils dont à peu près 50% n’étaient pas de nationalité française. Quoi qu’il en soit, en dépit des dangers que présentait l’exécution de ce service, les chauffeurs de l’entreprise Epinat remplirent leur mission en toute circonstance avec une conscience et un cran au-dessus de tout éloge.“
(1) Autos Mitrailleuses de Cavalerie
Pierre Bonardi. Extrait de : La marche pacifique. Edition des Portiques 1932
Tant de chauffeurs morts dans les embuscades n’ébranlaient ni l’intrépidité des conducteurs ni la hardiesse de leurs chefs, pionniers de pistes nouvelles; mais hardiesse et intrépidité ne sont point forcément folie. Un des industriels qui fournissait les camions fit équiper, sur un de ses châssis, une carrosserie blindée pourvue d’une tourelle mobile et de deux mitrailleuses. Puis il plaça, à côté de ses grosses bêtes de somme, ce chien de garde invulnérable.
De ce jour, comme par un décret d’Allah, les dissidents respectèrent les camions. Plus une seule attaque, plus un seul mort. Là où passait la “blindée”, la sécurité était pour quelques heures absolue. On commanda alors d’autres carrosseries du même genre. On arriva ainsi au chiffre de dix-sept camions blindés.
L’armée regarda d’un œil sympathique ces engins qui protégeaient les convois transportant leur ravitaillement, leur matériel et surtout leurs soldats. Elle offrit alors pour chaque camion blindé un équipage militaire composé d’un sous-officier, d’un servant et d’un guetteur. Puis elle établit des rotations sécurisées, c’est-à-dire des convois, autant civils que militaires, avec des règles strictes pour la circulation des véhicules et des voyageurs. Une discipline si ennuyeuse, si gênante qu’on ne la subissait pas sans la maudire, mais dont tout le monde reconnaissait l’impérieuse nécessité pour les parcours à risques.
Sous la protection de la blindée, ou seuls dans les régions pacifiées, les chauffeurs du Sud continuèrent à rouler...
On disait qu’ils gagnaient bien leur vie, ce qui était assez logique lorsqu’ils mettait un si bel entrain à la risquer. Les conditions dictées par l’entreprise ne laissaient rien au hasard et étaient même draconiennes.
Le chauffeur s’engageait d’abord à se rendre là où on l’envoyait. Il était responsable de tout : camion, matériel et cargaison transportés qu’il devait impérativement mener à bon port. On lui donnait deux francs cinquante au kilomètre parcouru et l’essence à un prix raisonnable. S’il cassait un ressort, tant pis pour lui. Tant pis aussi si un pneu éclatait. S’il perdait son temps en route, c’était son argent qu’il perdait. D’où l’intérêt des chauffeurs à surveiller l’entretien de leur camion et à le ménager sur la piste tout en respectant les temps de parcours. De toute évidence, un pareil service aurait été impossible si l’intérêt et la responsabilité du conducteur ne s’était pas conjuguée étroitement.
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