Dimitrios Katrakazos, immigré grec venant de son île natale, Lemnos en Grèce, et en route vers les Etats-Unis, n’avait que quatorze ans quand son bateau fit escale à Casablanca. En fait c’est de ce port que partaient les bateaux transatlantiques pour les Etats-Unis. Lors du changement de navire, c’est Mr Vanvakeros, un sheapchandler grec sur le port de Casa, débarqué en 1904, qui le décida à tenter sa chance au Maroc.
Dimitri, 14 ans, débarque au Maroc
Venant de Oued Zem, où il avait passé quelques mois, Dimitri arriva à pied par une journée froide de novembre 1928, à Ouarzazate, où il n’existait alors que la kasbah de Taourirt, demeure du khalifa du Glaoui (les troupes françaises logeaient encore sous tente). Parrainé par un autre Grec déjà établi sur place, quelque temps plus tard, au pied de la colline où se construisait le bordj de la Légion, il créa sa première entreprise où se trouve l’actuel restaurant Chez Dimitri, probablement le plus ancien restaurant au Sud de l’Atlas encore en activité avec le même propriétaire.
A. Le restaurant, dans les années trente.
B. Le restaurant avec ses pompes à essence, pendant la guerre.
A l’époque, le Protectorat donnait de larges facilités à ceux qui voulaient ouvrir un commerce.
En usant d’un prête-nom, compte tenu de son âge, il a ouvert son premier commerce avec pour nom “Au rendez-vous des mineurs”, ce qui indiquait bien de quoi pouvait vivre le lieu. La solde des légionnaires, les prospecteurs du manganèse, puis les mines, allaient assurer la prospérité de la ville et de Dimitri.
Situé sur “l’avenue” principale de la ville naissante, son établissement fut la première halte, rendez-vous des transporteurs et des voyageurs, le premier arrêt des cars, la première station d’essence, la première poste, la première cabine téléphonique, la première salle de bal.
Après quelques années de labeur, Dimitri acquiert, de l’autre côte de la route, un local pour y installer une épicerie (l’actuel supermarché) et un hôtel. Il est alors chargé pour le Sud de la régie des tabacs; il ravitaille les chantiers de la route et les mineurs, consent même des crédits et des avances d’argent...
A. Dimitri, entouré de deux frères, Grecs originaires de l’île de Rhodes, qui lui servaient de prête-noms car il était trop jeune pour obtenir une licence d’alcool. Il est vrai qu’à bien regarder la photo, l’épicerie ressemblait plus à un débit de boisson compte tenu des alignements de bouteilles de tous les alcools existant alors sur le marché.
B. Dimitri avec quelques amis civils devant son épicerie, bien des années plus tard...
Quelques souvenirs sur Ouarzazate et Dimitri :
- Les soirs d’affluence dans son restaurant, on raconte qu'il faisait cuire les spaghettis dans une lessiveuse.
- Il fut le premier éleveur de porc au Sud de l’Atlas. Sa production était réservée autant à sa clientèle civile que militaire, sans compter pendant la guerre, les quelques centaines de prisonniers allemands.
- Il a également eu l’occasion de côtoyer Saint Exupéry, quand des vols de l’Aéropostale pour Dakar était détournés sur Ouarzazate pour cause de brouillard sur Agadir.
- “Chez Dimitri, tout est permis, même faire pipi sur les tapis”. C'était le slogan de l'époque.
Vers 1950, Dimitri et l’ingénieur Chaigne, découvreur d'un des filon de Bou Azzer,
assis sur les ailes de leur Chevrolet, une voiture américaine achetée en commun au nom de la société minière qu’ils détenaient, la Société Canadienne de Manganèse, car ils vendaient leur production uniquement aux Canadiens.
Dimitri, le Grec, devint une figure de Ouarzazate et de la région en se mettant au service de tous, militaires, civils européens ou marocains. Son épouse, arrivée peu de temps avant l’indépendance, avait l'air de préférer séjourner à Casa; l'affaire était assez rentable pour qu’elle puisse s’y rendre en avion; l’hiver elle portait souvent un manteau de vison, offert pour son mariage par sa mère, pour affronter la froideur de Ouarzazate.
Dimitri fut la pièce maîtresse de la mutation de Ouarzazate, d’une kasbah en un gros village accueillant et hospitalier envers les “étrangers”. Dimitri réussit à les convaincre à s’installer dans ce coin perdu du Maroc, à commercer et à professer pour un meilleur être et devenir.
Sa vie fut une aventure, ses rencontres des passions et son rêve la réalité d’aujourd’hui, puisque arrivé à pied, il put voir, soixante ans plus tard, en 1988, le premier vol commercial direct Ouarzazate-Paris. Dimitri a quitté ce monde en novembre 1991 mais son fils Pierre respecte sa mémoire en continuant à participer au présent et au futur de Ouarzazate.
Sa vie fut une aventure, ses rencontres des passions et son rêve la réalité d’aujourd’hui, puisque arrivé à pied, il put voir, soixante ans plus tard, en 1988, le premier vol commercial direct Ouarzazate-Paris. Dimitri a quitté ce monde en novembre 1991 mais son fils Pierre respecte sa mémoire en continuant à participer au présent et au futur de Ouarzazate.
Pour l'inauguration de la ligne Paris - Marrakech - Ouarzazate, le journal l'Expres du 18 avril 1886 consacra un article se plusieurs pages sur le Sud de l'Atlas et sur Ouarzazate.
Extrait :
Une personnage hors du commun, ce petit garçon grec, né un 23 octobre 1914, qui émigre seul au Maroc dans les années 20 à l’âge de 14 ans.
A 19 ans, en tant que cantinier, il suit les troupes makhzen en opération dans le jebel Sagho contre les tribus Aït Atta, commandées par le chef berbère Asso ou Baslam. Après une résistance de plusieurs mois, le chef incontesté de la résistance, se rend au général Huré.
Les Français l’enferment avec les siens sous une tente gardée par des tirailleurs sénégalais. Il fait très chaud, le caïd et sa famille ont soif et faim, et de peur d’être empoisonnés refusent de boire l’eau mise à disposition par les militaires.
Dimitri, à l’insu de tous, leur fait passer des bouteilles de Vichy capsulées et des boites de sardines.
Libéré plus tard avec les honneurs, Asso ou Baslam n’oubliera jamais ce geste du jeune Grec et vouera à Dimitri jusqu’à sa mort une grande amitié et dans les tribus on intégrera cette histoire dans les récits de la bataille du Bou Gafer que l’on contait aux enfants le soir dans les veillées.
Fin des années 50, le devant du restaurant avec les pompes à essence.
Dimitri aimait le poisson...
Comme tout insulaire, Dimitri avait une certaine prédilection pour le poisson, souvenir de son île natale. Ses amis de l’Aéropostale, pour le remercier de l’accueil qu’ils recevaient dans ses établissements, se débrouillaient, quand l’occasion les obligeait à passer par Ouarzazate et qu’ils n’avaient pas le temps de se poser, pour le livrer d’une façon assez originale.
A Agadir, ils faisaient emballer le poisson dans une caisse en bois; le voyage en altitude ne nécessitait pas de le protéger de la chaleur avec trop de glace. Arrivés au-dessus des quelques maisons de la ville naissante, ils larguaient la caisse du cockpit lors d’un passage à basse altitude. Avec un peu de chance, la caisse atterrissait intact, mais parfois elle explosait en touchant le sol, ou les toits, avec les poissons répandus souvent sur une bonne distance.
Son fils Pierre, qui m'a relaté cette anecdote, raconte que les chats du coin avaient vite compris ce que pouvait signifier le passage d’un avion à basse altitude au dessus du restaurant de Dimitri.