C'est surtout en 1492, 897 de l'hégire, que chassés d'Espagne, ils vinrent constituer des communautés dans l'Atlas et dans d'autres lieux de l'empire du Sultan Bayezid (bajazet). Le sultan aurait déclaré : “On dit que Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille sont de grands rois, or il appauvrissent leur empire et enrichissent le mien.”
Aujourd'hui la majorité sont partis du Maroc, quelques uns seulement restent dans les villes. Ils ne font plus partie des habitants de la région de ouarzazate et de sa région qui regorgeait de mellahs. Quelques-uns reviennent en touristes visiter les lieux où habitaient leurs familles et pratiquer leur culte auprès du tombeau d'un saint (Rabbi David u-Moshe).
La synagogue de Ouarzazate est désaffectée et occupée par des commerçants musulmans. Les objets du culte ont été transférés à la synagogue de Casablanca. Plus aucun juif ne vit dans le mellah de Taourirt dont les portes qui le séparaient du reste des habitations ont disparu. Quelques symboles hébraïques demeurent, notamment dans l'architecture de la kasbah où se devine des menorah stylisées.
Juifs de la kasbah de Taourirt
Archives Balmigère
Tamassint : 18 familles;
Zaouïa Sidi Otman (Athmane) : 5 familles;
Tabount : 6 familles;
Tigemmi djedid (Tigemmijdid) : 2 familles;
Taourirt : 15 familles; Talmesla : 20 familles (le plus important des mellahs de Ouarzazate et le plus éloigné);
Aït Kedif : 10 familles.
Soit un total de 76 familles pour les sept mellahs recensés à Ouarzazate et autour.
En remontant la vallée de l’oued Imini chaque douar réunissait des familles juives. De foucauld indique des douars sur la rive droite, tout près d'Ouggoug, où débute la mine. Iril (Irhil) : 8 familles; Tagnit (Tagounit) : 2 familles; Afella Isli : 6 familles et Taskoukt : 5 familles.
Dès le début de l’exploitation de la mine, à l’ouverture de la route du Tichka, des familles juives vinrent s’installer dans les douars près d'Ouggoug Sainte-Barbe.
Il ne faut pas oublier que les Israélites étaient marocains de nationalité, qu'ils vivaient au Maroc depuis plusieurs siècles, certains étaient établis au Maroc avant que les Arabes apportent l'Islam en pays Berbère. D'autres familles étaient arrivées nombreuses en 1492 venant d'Espagne. Ils parlaient très bien les langues du pays comme l'a observé De Foucauld qui connaissait l'arabe et l'hébreu et s'était déguisé en rabbin du temps où un chrétien ne pouvait circuler librement dans les parties du Maroc non soumises au Sultan.
Ce texte de Charles de Foucauld est un document précieux, c'est la raison pour laquelle il est important de le citer. Un autre document le confirme; une curiosité linguistique pour les spécialistes des langues berbères a été révélée par le chercheur Haïm Zafrani. Une liturgie de la Pâque en tamazirt écrite phonétiquement avec des lettres hébraïques a été retrouvée. Il s'agit d'une pièce unique, la version intégrale en berbère de la composition liturgique récitée par les juifs au cours de la veillée pascale et dont le thème fondamental est l’histoire de la sortie d’Égypte, accompagnée du hallel (groupe des psaumes 113 à 118 qui entrent dans la liturgie des grandes fêtes et de certains jours solennisés). Les Juifs marocains de l'Atlas dans leur majorité connaissaient mieux le tamazirt que l'hébreu.
Cette méconnaissance de l'hébreu par le plus grand nombre et la connaissance générale de l'arabe et du tamazirt prédisposaient les juifs à rester au Maroc. En fait tous les juifs n'étaient pas dans la même situation. Les plus riches commerçants et surtout banquiers qui vivaient dans l'étendue des terres sous contrôle du Sultan étaient protégés car ils avaient su se rendre indispensables aux détenteurs du pouvoir politique ou judiciaire. Ailleurs, dans les zones rebelles à l'autorité Chérifienne, la vie des juifs comportait bien plus de risques.
De Foucauld nous parle de leurs professions; les mêmes que celles du début du Protectorat : "Les Israélites, qui, aux yeux des Musulmans, ne sont pas des hommes, à qui les chevaux, les armes sont interdits, ne peuvent être qu' artisans ou commerçants. Les juifs pauvres exercent divers métiers; ils sont surtout orfèvres et cordonniers; ils travaillent aussi le fer et le cuivre, sont marchands forains, crieurs publics, changeurs, domestiques dans le mellah. Les riches sont commerçants, et surtout usuriers. En ce pays troublé, les routes sont peu sures, le commerce présente bien des risques; ceux qui s'y livrent n'y aventurent qu'une portion de leur fortune. Les Israélites préfèrent en abandonner aux Musulmans les chances, les travaux et les gains, et se contentent pour eux des bénéfices sûrs et faciles que donne l'usure. Ici ni peine ni incertitude. Capitaux et intérêts rentrent toujours. Un débiteur est-il lent à payer ? On saisit ses biens. N'est ce pas assez ? On le met en prison. Meurt-il ? On y jette son frère. Il suffit pour cela de posséder les bonnes grâces du qaïd; elles s'acquièrent aisément : donnez un léger cadeau de temps en temps, fournissez à vil prix les tapis, les étoffes dont a besoin le magistrat, peu de chose en somme, et faites toutes les réclamations, fondées ou non; vous êtes écouté sur l'heure."
Les juifs avaient seulement le droit de monter des mulets ou des ânes. Le Protectorat changea la situation des Juifs au Maroc, notamment par le développement des écoles de l'Alliance, l'apprentissage de l'hébreu et des langues européennes, l'accès aux collèges, lycées et aux diplômes universitaires. Les juifs pauvres et sans instruction devinrent moins nombreux car ils ne dépendaient plus exclusivement de la bonne volonté et des intérêts personnels de leur caïd. Au temps du Protectorat se côtoyaient dans les mêmes classes juifs, musulmans, chrétiens et autres, sans aucune préséance des uns sur les autres. Avant le Protectorat les juifs marocains étaient rares à pouvoir envisager leur avenir en dehors du Maroc, avec le Protectorat ce qui n'était qu'une utopie devint réalité.
Les Juifs marocains ont compris qu'ils pouvaient quitter le Maroc de leurs ancêtres pour aller faire leur vie ailleurs et notamment en Israël à l'époque des événements qui ont précédé l'Indépendance du Maroc. On sait en effet que si les Musulmans font leur pèlerinage à La Mecque, les Juifs font leur alya (montée) en terre d'Israël. Les deux voyages n'ont pas le même sens car l'alya est souvent sans retour, mais ils ont tous les deux une dimension religieuse.
Les Juifs du Maroc ont pensé peut être un peu vite que leur avenir ne résidait plus au Maroc. La création de l'État d'Israël en 1948 n'a pas provoqué beaucoup d'alya, mais les événements et les attentats avant l'Indépendance du Maroc ont déclenché leur exode. Certes Mohamed V les avait dispensés de l'étoile jaune en 1940 et ils ne l'oubliaient pas; mais cela n'avait pas empêché des juifs d'être victimes lors des tristes événements au moment de l’indépendance.
Un des saints juifs marocains le plus connu dans la région, dont le culte a été transféré en Israël, est Rabbi David u-Moshe. Son intervention se fait par les songes. Son tombeau est toujours gardé et entretenu à Tamezrit près d'Aguim.
Les Juifs marocains font aussi partie de l'histoire de la terre marocaine. Par endroits leurs cimetières subsistent et ils y reviennent parfois pour s'y recueillir, mais ces lieux ont tendance à disparaître.
Pour ce dernier texte, je me suis inspiré de celui passé sur un exceptionnel site internet consacré à la mine d’Imini et de Bou Tazoult et à l’ancienne communauté d’Européens et de Marocains ayant œuvré pendant plus de cinquante ans sur cette si importante mine de manganèse (http ://timkkit2008.canalblog.com/archives). Je ne peux que vous conseiller d’aller le consulter car la vie de la mine était étroitement liée à celle de Ouarzazate et de tous les douars alentours d’où venaient les mineurs et leur famille.
Le père de la femme qui s’occupe de ma maison à Taourirt était mineur à Bou Tazoult. Une partie de sa famille demeure encore dans le village “indigène”. Son père est décédé avant de vieillir comme je suppose beaucoup de mineurs.
Toutes les photos d’Israëlites qui illustrent cet article proviennent des archives du Commandant Balmigère, chef de Cercle à Ouarzazate de 1936 à 1945 et de ma collection personnelle.
La synagogue de Tazenakht fut de tout temps renommée à cause du Sefer Tislit, le Rouleau de la loi de Tislit, ou le Rouleau de Tislit de Jérusalem.
Le docteur Mauchamps de la mission sanitaire française (assassiné en 1907 à Marrakech), dans son ouvrage sur la sorcellerie au Maroc, racontait qu’à Tazenakht, on conservait un rouleau de la Loi écrit autrement que les autres et qu’un Arabe avait autrefois découvert enterré. Le précieux document avait été enfermé dans sept petites chambres, emboîtées les unes dans les autres, formant ainsi un petit édifice, d’où on ne le faisait sortir que le jour anniversaire de la promulgation de la Loi sur le Sinaï.
Les personnes qui allaient en pèlerinage à la synagogue de Tazenakht étaient toujours exaucées, mais gare aux impurs qui osaient approcher des murs sacrés: ils restaient frappés de paralysie. Les musulmans, désirant profiter de la baraka du lieu, ne pouvaient s’approcher du sanctuaire et faisaient de loin, dévots et humbles, les gestes rituels qui délivrent. Une juive, parfaitement pure selon la tradition, veillait constamment sur le lieu. L’offrande, qui consistait en huile, était versée par les fidèles dans une jarre placée extérieurement mais communiquant avec l’intérieur.
L’histoire locale raconte que si la ville ne fut jamais investie, c’est grâce à ce rouleau de la Loi. On rappelle que lorsque le caïd de Tazenakht faisait une sortie contre l’ennemi, il allait toucher le parchemin sacré qui devait le rendre invulnérable. Le caïd avait coutume, chaque année, d’offrir un bœuf, de l’huile et de la farine. Chaque fois qu’un musulman voyageait, il passait et laissait quelque chose pour le Rouleau de Tislit; ils pouvaient alors baiser le mur de la synagogue.
Un jour on trouva une erreur dans un mot du texte sacré. Un sage vint et déclara que le Rouleau était impropre à la lecture de la Torah et décida d’en faire la correction lui-même. Dès qu’il commença, il perdit la vue. Arriva un second, il n’y arriva pas non plus. Le propriétaire du Rouleau, Abraham Wizeman, organisa une fête, se’udah, et dit: “Rouleau de Tislit ! Par ton mérite et par celui du personnage qui t’a écrit ! Que celui qui t’a écrit corrige lui-même ce mot !”. Le lendemain, le mot était corrigé.
Transféré en Israël, le Rouleau se trouve aujourd’hui dans une synagogue d’Ashkelon où les Juifs originaires du Maroc continuent à célébrer sa hillulah annuelle.
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