Ouarzazate vu par la revue du Touring Club de France en 1938
Mis à jour : mardi 29 novembre 2011 17:43
Le centre urbain
Entre parenthèses : quelques précisions recueillies auprès de Pierre Katrakazos, le fils Dimitri.
Le centre urbain a pris le nom de Ouarzazate, appliqué autrefois à la palmeraie tout entière. L’arrêté viziriel du 13 déc. 1933 et le dahir du 8 mai 1934 lui ont donné une existence juridique.
Né, avant les règlements, de la nécessité d’assurer le ravitaillement d’une garnison sans cesse grandissante, le centre urbain s’est développé à l’Ouest de ce que le colonel Chardon considérait comme son point central, c’est-à-dire le croisement des routes de Skoura et du Tifernine, en bordure des jardins de la palmeraie au bord de l’oued.
Il pensait que le temps aidant, des villas et des boutiques se grouperaient autour des locaux de l’Annexe des Affaires Indigènes, de l’Exposition des Arts Indigènes, de l’Infirmerie Indigène (futur hôpital Bou Gafer), des Travaux publics, des villas des officiers de l’Annexe et des Fonctionnaires, donnant peu à peu, un sens au jardin public dans un “futur rôle rafraîchissant” qu’il avait fait aménagé avec amour, pensant que le lieu serait plus agréable à vivre pour les Européens. Ses avenues étaient déjà plantées d’arbres robustes, les jardins étaient bien irrigués, et ses quelques touffes de palmiers jetaient dans le paysage leur note d’exotisme africain.
A l’époque, la population du Centre, assez mêlée, ne comportait en fait que des commerçants et des fonctionnaires. La chapelle Sainte-Thérèse, installée à l’opposé de la ville naissante, était desservie par l’aumônier militaire de la garnison, le Père Bonaventure des Franciscains, qui assurait le service religieux pour les Européens.
En 1937, le Centre comportait :
*deux hôtels convenables :
- Hôtel Restaurant du Ouarzazate, Maison Achard, direction René Souvêtre, qui deviendra chez Mme Marius,
- Gîte d’étape, faisant partie de la chaîne de la Mamounia, en bordure du plateau en surplomb de la route et de l’Annexe des A.I. (Kenzi-Azgor actuel).
* Quatre cafés-restaurants :
- Chez le Grec Dimitri
- Café de la Légion, tenu par le Russe Stépanoff, ancien légionnaire (hôtel Royal aujourd’hui)
- Café restaurant de l’Atlas, du Grec J. Boznekis
(existe toujours dans une rue derrière, parallèle à l’avenue Mohamed V).
* Quatre épiceries dont :
- celle du Grec Dimitri qui faisait débit de tabacs,
- celle du Grec Antoine Reissis qui faisait également dépôt de tabacs et poste d’essence (elle fut par la suite rachetée par Dimitri qui devint le fournisseur exclusif de l’Armée),
- celle de l’Espagnol E. Linarès, représentant des machines à coudre “Singer” et entrepôt de la bière “Zénith”.
* Librairie-Papeterie de l’Atlas, d’Antonio Panayotis, également un photographe marchand de journaux.
* Salon de coiffure de l’Espagnol Aguado.
* Dépôt de la bière “La Cigogne” (tenu par Dimitri).
* Agence C.T.M.
Quelques vendeurs indigènes de légumes frais s’étaient installés en bordure de la route, axe ensoleillé et bien aride.
“Cette petite ville “en puissance” est dominée par le Poste militaire, qui occupe la colline la plus importante, nivelée largement à cet effet. Son altitude de 40 mètres au-dessus du lit de l’oued en fait un prolongement du grand plateau du Nord dont elle n’est qu’un fragment détaché.”
Au centre du Poste, une solide et élégante tour de pierres, du plus pur style médiéval, élève, à 50 mètres au-dessus du cours d’eau, la vue des touristes amateurs de tours d’horizon.
“Lorsqu’elle sera dotée de sa table d’orientation, ce sera un charme bien particulier que de pouvoir promener le regard sur tous les sommets de l’Atlas, du Siroua et du Tifernine, avec le plaisir de détailler leurs formes et de les comparer.
Pour le moment un peu dépaysée, cette évocation des tristes donjons féodaux, s’habitue au soleil d’Afrique, et écrase de son mépris les murs de pisé qui l’enserrent. Ces murs sont le Passé... mais, elle, c’est l’Avenir.”
Archives ECPA
Toute l’agglomération de Ouarzazate est ravitaillée en eau potable, par le captage de la source de Tisgui n’Lilane, où les Travaux Publics ont terminé les travaux du bassin de réception et de la canalisation (près de la route de Fint actuellement).
Deux tombeaux de marabouts gardent les entrées de Ouarzazate : sur la route de Marrakech, près du Souk, imposant à la tour vaguement soudanaise, c’est Sidi Ihourizen, au nom bien berbère.
A l’autre extrémité, en direction de la kasbah de Taourirt, c’est la koubba de Sidi Abderrahman bel Hadj (sous la terrasse du Kenzi-Azgor), précieux auxiliaire des séances de justice qui se tiennent au Bureau de l’Annexe des Affaires Indigènes, car il reçoit les serments des parties et clôt ainsi bien des débats...
Suggestion de la revue, pour une promenade :
1. Une petite visite à la coquette et neuve chapelle;
2. Une ascension à la tour d’orientation du Poste militaire;
3. Un tour au musée, exposition permanente de tapis et bijoux Aït Ouaouzguite.
Éventuellement un court pèlerinage au Monument aux Morts de la Légion Étrangère, au cimetière chrétien (en fait cimetière militaire car il comprenait également des tombes de tirailleurs sénégalais musulmans, dont les familles vivaient à Tabount, dont plusieurs ont fait souche).
La kasbah
Elle se nomme Taourirt, “la colline” en tachelhaït.
La kasbah est, en réalité, une petite ville groupée en deux rues tortueuses et d’étroites ruelles, autour de deux demeures seigneuriales, du style de ce pays.
L’une est celle du Caïd Si Hammadi, khalifat du Pacha de Marrakech; l’autre, celle de Si Mohamed el Aarabi, son neveu, fils aîné de Si el Madani.
Recensement de mars 1936 : 154 foyers indigènes s’y pressent : 1130 musulmans (392 hommes et 738 femmes); 124 israélites (62 hommes et 62 femmes).
Quatre portes donnent accès à l’intérieur. Celles de l’Ouest, du Sud et du Sud-Est, sont fermées chaque jour une heure après le coucher du soleil, celle de l’Est reste ouverte toute la nuit. Il existe, en outre, une porte spéciale pour la maison du Caïd.
Sous la terrasse de la kasbah, sous la voûte du gros banc de conglomérat, se sont installées des familles de pauvres gens qui y vivent en troglodytes.
C’est également cet endroit qu’ont choisi les potiers pour y exercer leur art. On peut y visiter trois ateliers en plein air et deux fours, en fonction le mercredi de chaque semaine, veille du souk. Les pièces terminées sont conservées, jarres, plats, écuelles, terrines à couvercle, dans les profondeurs de deux grottes fraîches. Les travaux de ces maalmine sont de simple terre cuite, quelquefois ornée de légères lignes noires. Jamais elle n’ont le fini des poteries de Tamgrout, ni surtout le joli verni vert ou ocre dont les potiers de Tamgrout savent les recouvrir.
Un bain maure s’est installé dans les jardins, à proximité de la porte de l’Ouest.
Sidi Daoud
Zaouia abritant le tombeau du plus grand saint local.
“Il est, à 10 mètres de la route, une koubba dont la blancheur immaculée, le galbe et le croissant de cuivre, rappellent au touriste que le Berbère est islamisé.”
Ce saint vécut, dit-on, entre 1822 et 1859 à Taourirt du Ouarzazate. Très vénéré, il y mourut au milieu de la consternation générale et fut enterré à l’emplacement de la koubba.
La légende raconte qu’une petite troupe, commandée par Zeroual, khalifat du Sultan Moulay Abderrahmane, campant à Tamarzast, vint chercher du bois près de la tombe. Dès que les soldats l’eurent en main, chaque branche devint un serpent. Effrayés, ils s’enfuirent et rendirent compte à leur chef de ce qui venait de se passer. Celui-ci, assez surpris et incrédule, vint à son tour et, dans ses mains, le même prodige se reproduisit. “Ici, dit-il, est enterré un saint.”
En même temps, Raho ben Abderrahmane, de la famille notable des Aït Raho, une des plus ancienne du Ouarzazate, entendait une voix lui ordonner de bâtir une koubba sur la tombe de ce saint. Il écouta l’ordre du ciel, vendit ses terres pour se procurer de l’argent et construisit la koubba, aidé, dans sa pieuse besogne, par des amis fidèles. Il devint ainsi le premier moqadem de cette zaouia naissante.
Le 15 août, période des moissons, des figues, de l’abondance, fut la date choisie pour la fête de Sidi Daoud.
Le guide de 1938 indique que ce jour est l’occasion de fêtes où les cavaliers luttent de courage et d’adresse et les femmes de coquetterie.
De toutes parts, une multitude d’hommes, d’enfants, de vieillards, estropiés ou malades, viennent, le dimanche, demander au saint la guérison. Le malade est couché sur une natte à l’intérieur de la koubba et le saint lui suggère ce qu’il doit faire. Il part et guérit.
Dans la région, de nombreuses légendes ont aidé à l’immense réputation de Sidi Daoud. Parmi les plus curieuses c’est celle de la femme qui veut être mère. Elle apporte de la farine qu’on laisse séjourner trois jours près de la tête du saint. De cette farine, elle fait un pain qu’elle donne à manger à son mari et le résultat fut heureux. Ou encore l’histoire de la selle. Le père du moqadem de la zaouia avait une selle; un voleur, une certaine nuit, s’en empara. Mais, alors qu’il croyait s’éloigner et avait déjà marché toute la nuit, il se retrouva au petit jour à quelque cent mètres de la zaouia...