Les rues du ksar de Taourirt
Mis à jour : mercredi 1 juin 2016 11:11
1931. Une photo Gillot souvent utilisée
Photo de 1935. La rue prise toujours sous le même angle
avec les deux tours de la Kasbah du caïd en arrière plan.
Henry Bordeaux. Extrait de :
La revenante. Plon 1932, roman
Voyage de l'automne 1930Le village indigène se dresse en face de la petite cité nouvelle, sur un mamelon, au-dessus de l’oasis. L’entrée en est souillée par toutes sortes d’immondices : cornes de vaches, sabots, entrailles. C’est là que les bestiaux sont abattus et l’on ne prend pas la peine de nettoyer la place. Le petit groupe pénètre dans le ksar par le mellah et il est aussitôt entouré par une tribu juive sortie du trou noir qui lui sert de demeure.
Photo D.R. Cowles 1950
... Le groupe erre maintenant dans le quartier indigène. De tous côtés surgissent des négrillons. Le sang noir a envahi, comme dans presque tout le sud, la race berbère. Voici qu’une femme, sortant de son réduit, la
goula sur l’épaule, pour se rendre à la fontaine, a reconnu l’infirmière. Elle lui baise la main et l’emmène dans sa demeure avec de grands témoignages d’amitié. Le patio découvert, avec les étables en bas pour les moutons et les chèvres noires, les chambres au premier étage, au-dessus la terrasse.
Pendant cette visite, la
douïra s’est peuplée de femmes et d’enfants. Les femmes berbères qui ne se voilent pas se sont parées en hâte de leurs atours pour faire honneur à leurs hôtes : robes multicolores superposées, bijoux d’ambre, de corail, avec des sequins d’or ou d’argent, suspendus autour du cou comme des chapelets. Elles sont fières d’être si belles, noires ou brunes comme la nuit, courtes et lourdes et chargées d’une nuée de négrillons.
Juives du mellah de Taourirt
Photo Elias Harrus
... C’est l’heure du soir et les femmes vont chercher de l’eau à l’oued. Il en passe de vieilles pareilles à des religieuses dans leur tunique bleu sombre, il en passe de noires qui sentent le Soudan, mais il en passe de toutes jeunes, au visage bronzé éclairé par de grands yeux, presque jolies, et des juives aux traits accusés. Le court crépuscule se reflète dans l’oued, dore les oripeaux de ce défilé de porteuses d’eau, les caresse avec la douceur des soirs de printemps.
François Bonjean. Extrait de : Au Maroc en roulotte. Hachette 1950
Voyage effectué en 1946-1947
Nous pénétrons dans la célèbre kasbah par la porte principale en même temps que le vent. Notre mokhazni, un Ouaouzguit de la montagne, voudrait nous emmener chez le khalifa. Notre insistance pour visiter la kasbah ruelle après ruelle paraît le contrarier. Comme tous les mokhaznis, il n’a de considération que pour les officiels en déplacement, escortés en grande pompe par les autorités locales; nous représentons du menu fretin; il n’a qu’une idée : se débarrasser de nous le plus vite possible. Nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir et nous nous attardons dans les ruelles en pente, sales, poussiéreuses, rendues glaciales par les rafales. Ânes, mulets, vaches encombrent le chemin. Il y a des “cagnards” où les gens se “soleillent” sur les seuils.
Photo Rudolf Pestalozzi
Le tour du ksar est vite terminé. Le touriste qui a admiré de loin ce joyau de l’art berbère aura de la peine à prendre son parti du contraste entre l’extérieur et l’intérieur. Il sied à ce fils du “sombre occident” de considérer les marques de l’insouciance, du laisser-aller plein de bonhomie des habitants comme autant de signes. Cette misère qui se pavane ou sourit au milieu des décombres est pour nous un avertissement, une leçon peut-être toujours digne d’être méditée. “Il n’est pas au monde de plus pauvres splendeurs”, écrit magnifiquement Henri Terrasse. Pauvreté et grandeur sont, en effet, les pôles de la vie berbère : “La forme transfigure la matière, comme la poésie et le chant, la danse ont transfiguré de tout temps et continuant à transfigurer la vie quotidienne.”
En 1939, la kasbah comptait environ 1300 habitants, dont 100 Berbères, 1000 Harratines, 20 Mrabitines Irougamène descendant d’un marabout et 150 Juifs.
Vendeur juif dans le mellah. Archives Balmigère
Placette d'entrée
1939. Visite du capitaine Manjot dans la kasbah