Les colonnes de pacification sur la rocade Nord-Est
Mis à jour : dimanche 24 avril 2016 09:19
Tizi n'Taddert
ou n'Tadart des cartes, entre Skoura et Kelaa des Mgouna
Photos d'archives de la famille Lafite, dont le lieutenant Armand Lafite fut chef du 10ème Goum.
Photos datées de 1930
Des partisans blessés sont ramassés pour être évacués par VBC (Véhicules Blindés de Cavalerie).
Les colonnes de reconnaissance n'étaient pas sans risque.
Le lieutenant Armand Lafite est à droite.
Le Dadès et le Todgha
L'histoire contemporaine de cette région est intimement liée à celle d'une période où le Glaoui et le Protectorat français se conjuguaient de façon admirable. La population en garde encore aujourd'hui les séquelles indélébiles. Toute la politique coloniale liée à ce concept baptisé par euphémisme "pacification” trouve ici son champ de prédilection pour s'affermir. Le principe n'est autre que l'utilisation des partisans soumis contre les insoumis. Le glaoui en fut le protagoniste le plus caractéristique. Il fut chargé en juillet 1920 de l'organisation d'une harka dans le Todgha. Il infligea une défaite aux contingents de Ba Ali à Timatriouine entre le 31 juillet et le 1er Août de la même année.La mission Spillmann. Malgré la soumission aux harkas du Glaoui des fractions du Dadès en 1920, plusieurs documents diplomatiques et militaires mettent en exergue la précarité de la situation dans le Dadès, le Drâa et le Todgha. Hammou ou Rahou, le khalifat, fondateur des kasbah d'El Goumt, le lieutenant Spillmann, alors chef du bureau des affaires indigènes de Telouet, ont livré leurs conclusions d'une tournée effectuée dans la vallée du Dadès du 21 novembre au 2 décembre 1927. Cette mission se proposait de prendre contact avec la population, de rechercher des renseignements et de chercher un terrain d'atterrissage.La tournée était accompagnée de notables Aït atta et particulièrement du très connu Moh Dach Oulad Faska, de Mbark ou Laftayl et de Bassou ou Mimoun.Le 25 novembre, la mission a été reçue par le Chioukh des Aït Ihya en compagnie de 100 fusils. Le contact avait été pris avec le cheikh Baha ou Lahssayn, cheikh l'Aam des Mouna. De son côté, Hammou ou Rahhou, khalifat du Dadès, accueillit la mission en compagnie des chioukh du Dadès et des Aït Rbaa Mia.La mission arriva à El Goumt le 26 novembre. Le notable Mbark ou Laftayl convia la mission à un déjeuner ou il multiplia ses protestations de dévouement au Makhzen. La poésie locale garde de ce personnage des souvenirs qui ont trait à son assassinat par un autre protagoniste des Aït Atta, celui des Izegzaouen, de la famille de Moh Dach installée à Aït Boumalne dont le village jouxte le siège de la commune de Souk el Khemis.Plus tard, l'avancée militaire, en même temps que la piste, atteint Kelaa des M'gouna le 27 mai 1929. Elle était formée de deux goums et de partisans glaoua. Elle s'est faite sans aucun incident.
Source : L'Illustration 14/10/1933
1929. Les premières colonnes
Une reconnaissance, partie de Taourirt de Ouarzazate le 23 janvier 1929, est de retour le 28 sans incident, après avoir étudié le tracé d’une piste auto-cyclable remontant le Dadès jusqu’à Kelaa de M'Gouna, alors qu’une précédente reconnaissance a recherché la liaison routière avec Taroudant par Tazenakht et le Sud du Siroua.
Ainsi se poursuit la réalisation d’une grande rocade d’Agadir au Tafilalet par le Sous, le Drâa, le Dadès, le Todgha, le Ferkla et le Ziz, route des camions, mais aussi route de l’aviation déjà jalonnée par quelques terrains d’atterrissage. Un avion en mission photographique dans le Dadès a pu récemment atterrir sans incident à Kelaa M'Gouna.
Mais 15 hommes de la fezza du Todgha sont tombés dans une embuscade Aït Atta entre Kelaa des M'Gouna et Tinerhir : 7 sont tués, 2 blessés, les autres parviennent sains et saufs à Tinerhir où tient garnison la fezza Glaoua.
L’assassinat d’un notable Aït Atta, à Imiter sur la route du Dadès au Todgha, éveille une certaine émotion chez les partisans Aït Seddrat et Mgouna du Moyen Dadès.
Le 17 mai, les partisans Glaoua, soutenus par deux goums et l’aviation, occupent Kelaa M'Gouna du Dadès; un poste des Affaires Indigènes y est aussitôt créé en vue de l’action politique à exercer sur les Aït Atta, déjà touchés par le front du Ziz.
C’est la piste du Tichka qui a permis d’approvisionner en automne le terrain de base de Taourirt de Ouarzazate exploité pour la campagne militaire en cours. Les pistes s’ouvrent derrière les reconnaissances rejoignant les terrains de secours, hardiment ébauchés à l’avant; aussitôt ceux-ci se transforment l’un après l’autre, en terrains de travail, dès que la route les atteint et se montre prête à y apporter si besoin est, l’appui rapide d’A.M.C. (auto-mitrailleuse de cavalerie) ou de soutiens portés.
En 1929, la sécurité entre ces postes est telle que le Résident Général Lucien Saint, accompagné du général Noguès, directeur du Cabinet Militaire et du commandant Juin, ainsi que du général Huré, chef de la Région de Marrakech, peut se rendre en juin 1929 à Skoura, où il est accueilli par le Pacha, entouré de tous les notables de son commandement.
1930. Démarcation des zones de dissidence
Archives Daniel Rodier
Capitaine Fignon, de l’infanterie coloniale et officier des Affaires IndigènesSource :
Bulletin du Comité de l'Afrique Française et du Maroc. Août 1931.
Citation :
A effectué avec plein succès, en mai 1930, une reconnaissance hardie, sur 25 km au delà du poste de la Kelaâ des M’Gouna, en bordure de la dissidence, pour y déterminer le tracé d’une piste autocyclabe et l’emplacement du nouveau poste de Bou Malem (Boulmane d'aujourd'hui).
A ensuite dirigé sans incident les travaux de construction de cette piste entièrement terminée avant l’installation du poste.
Principal artisan de notre occupation de Bou Malem, centre politique et économique de toute la région du Haut Dadès. Cet officier des Affaires Indigènes ayant la foi, ardent et tenace, a obtenu les plus remarquables résultats dans l’organisation des tribus confiées à sa surveillance et rétabli l’ordre, la confiance et la sécurité dans les régions où régnaient autrefois la peur et la misère.
En colonne sur la piste du Haut Dadès
Capitaine Daumarie, de l’artillerie et officier des Affaires Indigènes
1931. « Le capitaine Daumarie, chef du Bureau des Affaires Indigènes d'Ouarzazate, vient d'être l'objet d'une brillante citation à l'ordre de l'Armée, que nous reproduisons :
- Daumarie Charles, Jules, Henri, capitaine d'artillerie : officier des Affaires Indigènes prestigieux, appliquant depuis un an avec bonheur, dans le Cercle de Ouarzazate, des méthodes de conquête pacifique et d'administration méthodique.
- Dirige avec plein succès, en janvier 1930, une reconnaissance partie à 100 kilomètres au-delà de notre poste le plus avancé, en bordure de la dissidence et sous la menace d'une harka . Grâce à son intervention opportune, ramène la confiance chez le chef de la tribu des Ouled Yahia, tribu forte de 4000 tentes et qui était sur le point de pactiser avec l'ennemi.
- En juin 1930, organise une sécurité efficace dans la région du Dadès jusqu'alors infestée de rôdeurs.
- En août 1930, dirige une reconnaissance chargée de reconnaître l'itinéraire d'une piste autocyclable, conduisant à Bou Malem, dans le Haut-Dadès, point où les harkas dissidentes s'étaient groupées en 1929, et prépare ainsi habilement et sans coup férir, l'occupation de ce poste en 1930.
« Nous prions le capitaine Daumarie de bien vouloir agréer nos très sincères félicitations pour cette belle distinction si méritée par des années de laborieux et intelligent dévouement à la pacification sud-marocaine. »
Journal « L'Atlas » du 4 octobre 1931
L'assainissement du flanc nord de la rocade
L’action politique du chef de Cercle est aussi persuasive et aussi soutenue auprès des tribus sédentaires de la vallée du Dadès. Mais, dans ce couloir entre l’Atlas et le Sagho, il est indispensable de se garder face au nord comme face au sud contre les attaques possibles des guerriers des tribus du Haut-Atlas. Le 15 juin 1931, une colonne légère composée des 32e goum du lieutenant Méric, du 39ème goum du lieutenant du Plessis et 100 partisans Mtouga, est concentrée à la Kelaa des Mgouna. Il s’agit d’assainir le flanc nord du couloir en faisant liaison avec les forces supplétives du Cercle d’Azilal, représentées par le 14ème goum du lieutenant Bertiaux et 100 partisans Aït Bouguemez et Aït Mhamed, commandés par Sidi Mah el Ahansali.Le lieutenant-colonel Chardon prend le commandement des éléments de Ouarzazate, et le commandant Louat celui des éléments d’Azilal. L’opération est assez délicate, car la progression va s’effectuer en pays inconnu. La dissidence est proche, sans qu’on en connaisse les limites précises, et la région de haute montagne parcourue, très difficile d’accès, exige des hommes un effort physique considérable, alors qu’elle offre aux dissidents de nombreuses possibilités pour monter des embuscades.
1931. Vallée de l'oued Dadès
Mais rien ne vient entraver la marche des goums, qui, le soir du 15 juin, bivouaquent au Tizi n’Aït Ahmed, à 3.050 mètres d’altitude.
La reconnaissance se poursuit au-delà de la zone habitée de la vallée de l’assif Mgoun, par le Tizi n’Aït Imi (2.980 m) sur la chaîne maîtresse de l’Atlas, puis par la vallée des Aït Bouguemez, où la liaison est établie le 17 avec les éléments du Cercle d’Azilal.
Les goums n’ont pas tiré un coup de fusil. Seuls, les partisans Mtouga, qui assuraient la flanc-garde droite du colonel Chardon, ont échangé quelques coups de feu avec un parti d’Aït Isha et d’Aït Atta, qui observaient la marche de la colonne à partir du Tizi n’Igourane. L’accueil de la population a été partout favorable et l’on peut admettre que les Mgouna sont ralliés au Makhzen. De ce fait, la piste du Tizi n’Aït Ima va devenir une voie de communication facile entre les deux versants de l’Atlas.
Contrôle à
Bou Malne du Dadès.
Archives Decordier
Rassuré sur le flanc gauche, le colonel Chardon prépare la marche vers le Todgha. Il demande et obtient que le 14ème goum, en poste aux Aït Mhamed, soit mis à sa disposition temporaire pour la durée de l’opération. Après avoir hâtivement constitué une section de jeunes recrues, le goum franchit l’Atlas au Tizi n’Aït Imi, sous les ordres du lieutenant de Maintenant et rejoint le groupe mobile Chardon en formation à Bou Malne. En font partie, sous les ordres du capitaine Daumarie :
- le 32ème goum du lieutenant Moulin,
- le 36ème goum du lieutenant Beaurpère,
- le 39ème goum du lieutenant du Plessis,
et le 14e goum d’Aït Mhamed qui reçoit mission de garder le seuil d’Imiter face au Sagho pendant la durée des opérations.
Les goums démarrent le 13 novembre avant le lever du jour et, progressant par bonds successifs, occupent Timatriouine, Foum el Kous et atteignent la palmeraie du Todgha le 18 sans avoir tiré un coup de fusil.
Un bureau d’Affaires Indigènes est aussitôt créé à Tinerhir aux ordres du capitaine Paulin qui dispose du 36ème goum du lieutenant Beaurpère. Des reconnaissances sont poussées dans toutes les directions sans rencontrer d’hostilité; les Ahl Todgha sont pacifiques et satisfaits de se sentir désormais protégés par la présence du Makhzen contre les incursions venant du nord ou du sud.
Général A. Huré. Extrait de : La pacification du Maroc. Dernière étape : 1931-1934. Editions Berger-Levrault 1952
“Dans la vallée du Dadès, la construction de la piste autocyclabe en direction de l’Imdghas s’est heurtée à de grosses difficultés. pour sortir des gorges, il faut résoudre un problème technique des plus difficiles, trop ardu pour notre chef de chantier d’alors auquel nous devions cependant la construction de la plupart des routes des vallées du dadès et du Drâa.
Je dus faire appel à un officier du Génie que je connaissais depuis longtemps, le capitaine Séguala, dont la modestie égalait la valeur. Son dynamisme et l’action puissante qu’il exerçait sur ses travailleurs, joints à son talent de traceur de pistes, triomphèrent de tous les obstacles. La piste sortit des gorges du Dadès et grimpa bientôt à l’assaut de l’Imdghas dont elle atteignit les abords à la fin de l’année (1932).”
Tinerhir, 22 novembre 1931, 16 heures
Toutes les djemaâs du Haut et Bas Todgha se présentent au Général,
commandant le Territoire, assisté du Pacha El Hadj Thami el Glaoui,
pour offrir la Targuiba et recevoir l'aman.
1931. Le 64ème R.A.A. à Tinerhir
A remarquer la plaque gravée à droite de la photo
Kasbah du khalifat du Glaoui
Contruction du bordj de la Légion
La batterie du R.A.A. en position face au Sagho
En bordure de la palmeraie
La piste arrive à Tinerhir
Véhicules Kégresse à chenilles tractant des canons.
Victor Jean. Sur les marches du Sahara occidental, Sud de l’Atlas. Article de paru dans le bulletin de L’Afrique française, mai 1931.
Reportage effectué au cours de l’hiver 1930-31
La piste du Tichka atteint Ouarzazate fin 1928, puis elle est continuée en direction du Nord-Est en suivant le courant de l’oued qui, à une quinzaine de kilomètres de Taourirt de Ouarzazate, se joint au Dadès pour former avec lui le Drâa. Elle remonte la vallée du Dadès, traverse la riche oasis de Skoura, passe à Kelaa des Mgouna (atteinte en septembre 1929) et se poursuit jusqu’à Bou Malem (1), poste situé à 1535 mètres.
Ce dernier poste était, il y a quelques semaines, le point extrême de nos positions militaires. Mais, depuis, celles-ci ont été avancées à une trentaine de kilomètres vers l’Est, jusqu’à Imiter, que l’automobile atteignait déjà avant l’établissement de nos troupes.
1932. Poste de colombophile au bordj d'Imiter.
De Bou Malem à Imiter, la route passe de la vallée du Dadès dans celle du Todgha. Elle franchit la ligne de partage des eaux des bassins du Drâa et du Ziz. Au delà d’imiter, la piste sera poussée sur le Todgha, de manière à nous permettre de soutenir le poste Makhzen de Tinerhir, dont la situation en flèche est difficile.
Il y a quelques semaines, le maréchal Franchet d’Esperey, en inspection sur le front marocain, s’est rendu à Imiter, au lendemain de son occupation.
Dans cette marche vers l’Est, notre drapeau suit l’itinéraire qui lui a été tracé, il y a près de 40 ans, par un grand Français. Notre progression militaire remet en actualité les reconnaissances faites en 1884 par le vicomte Charles de Foucauld.
La mort du capitaine Arrighi
11 février 1933. Après la soumission de tous les ksour du Ferkla, des contingents hostiles se sont rassemblés sur le Haut-Ifegh. Le colonel François, des forces de Marrakech, se porte de ce côté à la tête de 2 bataillons, 1 groupe franc, 1 escadron, 1 batterie, 3 goums, 150 partisans; il a en réserve 2 pelotons d’automitrailleuses et 1 escadron. Un détachement de 2 compagnies, 1 batterie, 1 goum, aux ordres du commandant Pichon, se tient sur le jebel Tisdafine, à l’Ouest du Ferkla.
La colonne attaque la palmeraie d’Ifegh; après un combat sévère, elle s’empare des crêtes dominantes. La harka de montagnards, à laquelle les troupes makhzen se heurtent, est d’autant plus résolue que la nature du terrain interdit toute poursuite. Comme les dissidents ont coupé l’eau en amont des gorges, les troupes doivent bivouaquer le soir au sud-ouest des jardins. Pourtant, la journée du 12 février est calme; le général Giraud rejoint la colonne avec les unités disponibles des Confins algéro-marocains. Le 13, le général François pénètre alors dans la palmeraie et rejette les rebelles vers le Nord en leur infligeant de lourdes pertes.
Aussitôt ce résultat obtenu, les forces des Confins et de Marrakech se disloquent. Les premières gagnent Azguine; les secondes se dirigent vers Bou-Tarat, couvertes par le détachement Pichon. Dès que celui-ci se replie, de nombreux guerriers descendent de la montagne et se jettent sur la colonne François. Les assaillants arrivent à quelques mètres du groupe franc, contre lequel ils s’acharnent; ils sont contenus par les unités du gros (1). La lutte en terrain coupé est très difficile; on ne peut pas enlever les morts. Mais dès que les troupes parviennent en plaine, les automitrailleuses interviennent, arrêtent et repoussent l’adversaire.
Au total, les journées du 11 et du 13 février coûtent 32 tués au Makhzen dont le capitaine Arrighi, et 26 blessés, dont 2 officiers.
Le 15, les groupes des Confins et de Marrakech se rallient au jebel Tisdafine; puis le 18, des éléments partis d’Azguine reconnaissent, sans incidents, la palmeraie de Tadount, à l’Ouest d’Ifegh; les dissidents ont regagné leurs montagnes.
(1) Terme militaire souvent utilisé pour désigner le “gros” de la colonne.
Tinerhir. Le bordj Arrighi
Reste du bordj Arrighi en 2010
Source : Marie Barrère-Affre
En colonne sur la rocade nord-est.
Trois blindés filaient en avant-garde. Derrière elles, douze gros camions peinaient, portant sous leurs bâches vertes le ravitaillement destiné aux postes avancés. A chaque étape, on stationnait assez pour ne pas distancer trop le reste du convoi, dont l’allure était bien différente !
Ouarzazate ne disposant pas du matériel automobile suffisant pour transporter la quantité considérable de munitions et de vivres qui devait faire ce voyage, les charrettes, les vieilles charrettes de l’Intendance traînées par de solides mulets, processionnaient dans le sillage des camions et rendaient, il fallait le reconnaître, d’immenses services. Elles passaient en effet où les mastodontes Saurer, Berliet, panhard, etc. ne passaient point. Avec leur escorte de tirailleurs, cheminant cahin-caha, changeant d’attelage à chaque relais, elles ralentissaient évidemment le convoi et se faisaient traiter de tortues; mais elles prenaient leur revanche quand la route, déjà mauvaise, était remplacée par des pistes plus mauvaises encore, où les gros camions étaient parfois en difficulté. On avançait sans hâte.
... La piste longeait l’Atlas, découvrant l’un après l’autre les sommets magnifiques portant des perles de neige sur leurs bonnets de velours; la vaste chaîne s’étendait à gauche, tandis qu’à droite le massif de jebel Sagho, de guerrière mémoire, apparaissait avec ses contours trapus et sa fauve couleur nuancée.
Le sol de toute part n’était qu’un immense champ de pierres. Par endroits, fendu, crevassé, il semblait avoir été la proie de quelque cataclysme ancien; certains cailloux noirs avaient l’air de porter des traces d’un brasier dévorant, tandis que d’autres, fendillés, s’effritaient en minces lamelles brunes comme des pains qui ont été trop longtemps oubliés au four. Tout cela prenait au jour levant des tons chauds, givrés d’or, soulignés de légères ombres dont le bleu fendu était d’une douceur extrême. Mais peu à peu, à mesure que croissait la lumière, on voyait s’animer ces divins coloris. Peu à peu les contrastes devenaient plus marqués, les ocres plus sombres et les creux plus violets; peu à peu l’air se remplissait d’on ne sait quelle rouge flamme.
Enfin, au cœur du désert, Skoura fut la première oasis. Éparpillées sous les palmes immenses, parmi les camps de menthes et d’absinthes, au bord de séguias qui fredonnaient sur un rythme de tarentelle, deux, trois, dix, vingt casbahs de terre brune, flanquées de tours carrées et de bastions pyramidaux s’élevèrent dans le crépuscule. Elles étaient couronnées de terrasses plates portant les unes un diadème de fleurons pointus, les autres une frange de rameaux secs dépassant les frustes charpentes. Elles se ressemblaient toutes et n’avaient nulle part leur pareille. Elles étaient immenses, filles quelquefois d’un seul riche maître et quelquefois divisées entre vingt familles comme un populeux phalanstère. Cuites par le soleil, éventées par les dattiers, baignées d’eaux vives venues de la haute montagne, elles s’entouraient d’un silence recueilli ouaté d’ombre violacée.
Un charme flottait, épars, mêlé au frisson de ces eaux, au sourire éclatant des adolescentes bronzées qui accouraient, des paniers de dattes fraîches dans les mains, et toutes ces jeunes filles étaient veloutées et rieuses, malicieuses, énigmatiques comme ces statuettes immobiles que l’on découvre au cœur glacé des villes mortes, et qui nous narguent d’une attitude, d’une moue, d’un regard vide, d’un sourire inexpliqué.
Après Skoura, la route redevint aussi désertique qu’auparavant. Ce furent toujours les mêmes montagnes enneigées dans le lointain, à gauche; les mêmes masses rousses et mauves à droite. Là-bas coulait le dadès, invisible.
Imassine, les Aït Seddrat, El Kelaa M’Gouna dressant ses incohérents ensembles de châteaux écroulés, de bordjs couronnés de sculptures, de maisons aux terrasses rouges : un oued bleu fut le tendre miroir où cette splendeur sauvage se dédoubla, trembla et sourit.
D’étape en étape, les jours passaient, et les nuits sous la tente. Boumalne fut atteinte et la piste continua vers Msemrir. Au delà, les camions ne pouvaient poursuivre et l’on doubla le nombre des charrettes. Les blindés allèrent plus lentement et les tirailleurs reçurent d’autres cartouches.
Un immense paysage blême s’étendait autour du camp construit sur une éminence. La piste traversait un défilé taillé en pleine roche, puis s’engageait dans des lacets montueux, abordant carrément la montagne. Tout cela était sauvage et désolé, à peine reverdi par les pluies récentes. Sur les pentes ravinées, des villages abandonnés dressaient leurs pans de murs noircis, qui fondaient en boue. Pas un être vivant, sauf tout en haut, dans le royaume des nuages, des vautours à la tête blanche, aux pattes jaunes, guettant patiemment ce qui trépasserait pour venir s’en repaître.
On fit halte vers midi, non dans un creux où coulaient des eaux abondantes, mais sur un piton nu. Personne ne murmura : on devinait que le commandant avait ses raisons pour vouloir embrasser le plus vaste horizon possible. Aucune nouvelle officielle n’avait circulé; mais au camp, on avait appris que la région n’était pas tranquille, et qu’un djich de cinquante fusils faisait des siennes, çà et là. On laissa à peine aux troupes le temps de manger un bout de pain sur le pouce, sans dételer.
On repartit : il fallait arriver avant le crépuscule à la Nzala des Beni Attar, où l’on serait en sûreté. Le serpent du convoi se déroula lentement, précédé par les blindés qui stoppaient à chaque tournant. Pour atteindre le col que l’on devait franchir, mille zigzags se sculptaient au flanc abrupt de la roche...
(1) Boumalne du Dadès aujourd’hui
Les unités de Genie immédiatement à l'oeuvre.
Source : Revue Le Maroc en 1932.
Une très rare carte postale sur Aghbalou n'Kerdous
Mai-Juin 1933. Colonne de l'Imdghas
Archives du lieutenant d'Henry d'Esclaibes du 4e REI, devenu général
23 mai, unité de Légion sur la piste de Msemghir
10 juin. Imedghas. A la tour "en sifflet", le lendemain du baroud.
10 juin, bivouac de la tour "en sifflet".
12 juin, bivouac à 2800 mètres.
Légionnaires réquisitionnés pour l'élargissement de la piste du poste de Msemghir
Je recherche des personnes ayant eu quelqu’un de leur famille en poste à Ouarzazate ou dans son “territoire”, autant militaire que civil. Si elles veulent témoigner, ce site est à leur disposition. Textes et photos seront les bienvenus. Évidemment votre participation passera sous votre nom.
Merci pour votre attention. Jacques Gandini