Les Glaouas sont de puissants chefs Berbères et ils obtiennent en 1907 un Protectorat auprès de la France précoloniale. Alors que son frère est nommé Grand Vizir, Si Thami el Glaoui devient Pacha de Marrakech et entretient d'excellentes relations avec les Français. Il devient un grand propriétaire terrien dans la région de Ouarzazate et confie le ksar de Taourirt à son fils aîné.
El Glaoui transforme une partie du ksar en une splendide kasbah ou sa famille résidera jusqu'en 1956, date de l'indépendance. Construite en blocs de terre séchée et de paille recouverts d'un mélange de terre et de chaux, la kasbah est sobrement décorée de motifs géométriques. Il faut entrer dans la bâtisse pour découvrir la richesse des décors.
Gravure de Théophile-Jean Delaye
Les tiges de laurier rose entrelacées et recouvertes de terre pour former les plafonds sont disposées artistiquement pour former des motifs géométriques. Certaines pièces sont ornées de plafonds en planches de cèdre sculptées et peintes, de peintures et de zelliges sur les murs.
L’histoire du ksar de Taourirt est étroitement liée à celle de la kasbah, cependant elle demeure peu connue. Les quelques informations signalées dans certains ouvrages ne permettent pas de déterminer avec précision les différentes phases de cette histoire. Conformément à la tradition orale, l’ensemble de Taourirt aurait été édifiée au XVIIème siècle. Son extension et son remaniement seraient l’œuvre de Hammadi Glaoui représentant de son frère Madani (1882) dans la région, lui-même chef de Telouet depuis sa succession en 1876.
Son histoire a commencé à l’époque du sultan Moulay Abderrahman ben Hicham qui avait désigné Mohammed Ibibt El Mezouari de Telouet caïd des Glaoua, des Imeghran et des Aït Ouaouzguit.
Plus tard, le nouveau chef commença une politique d’extension vers les régions du sud-est. A cette époque Taourirt était sous l’autorité de l’Amghar Mohamed ou Hmad ou Abou , suzerain des caïds de Tamnougalt (surtout à l’époque du caïd Si El Abbas Ben El Hassan). Cette autorité de Tamnougalt fut évincée par celle de Telouet en 1874 lorsque Mohamed Ibibt triompha de Si El Abbas. La politique des Glaoua se basa ensuite sur des alliances matrimoniales pour mieux asseoir leur dominance sur la région.
À la mort de l’Amghar Mohamed ou Hmad ou Abou, Si Hammadi el Glaoui épousa sa veuve Lalla Sfia Hmad; son neveu (fils de Mohamed Ibibt) épousa lui Lalla Ijja Hmad, sœur de l’Amghar. Par ces liens, les Glaoua s’approprièrent Taourirt dont la zone d’influence s’étendait au-delà de Ouarzazate notamment après le passage du Sultan Hassan 1er.
Les premières années furent très difficiles pour SI Hammadi à Taourirt. Juste après le décès du Sultan Hassan 1er (1894), les tribus de la région (Aït Ouarzazate, Aït Boudlal, etc.) assiégèrent la kasbah et le village durant deux ans. Siège qui ne fut levé que grâce à des renforts arrivés de Telouet.
Le gouvernement de Si Hammadi el Glaoui dura jusqu’à 1937 (date de son décès) et ceci grâce au pouvoir suprême de son frère le pacha Si Thami el Glaoui et à la puissance militaire de son neveu le caïd Si Hammou el Glaoui.
La succession revint à Mohamed ben Hammadi jusqu’à 1939 puis à Si Boubeker fils de Madani. En 1940, Mohamed El Mahdi ben Hammadi géra les affaires de Taourirt jusqu’à l’Indépendance.
Les biens de Si Hammadi furent réquisitionnés par le Makhzen; quelques-uns furent restitués aux héritiers au cours des années soixante.
En 1972, la kasbah de Taourirt fut achetée par la Municipalité de Ouarzazate.
En 1989, le Centre de Conservation et de Réhabilitation du Patrimoine Architectural des Zones Atlasiques et Subatlasiques (CERKAS) a ouvert ses portes dans la partie sud de la kasbah.
En plus d’une intégration harmonieuse au sein de l'environnement, la kasbah et le ksar de Taourirt obéissent à des valeurs socio-culturelles en tant qu'image reflétant le génie des constructeurs. Monument classé patrimoine national depuis 1953, Taourirt est scindé actuellement en plusieurs parties :
• La partie Sud-Est est occupée par le Centre de Conservation et de Réhabilitation du Patrimoine Architectural Atlasique et Subatlasique. Elle offre certains avantages : restaurée, avec des équipements sanitaires, un espace en plein air et des locaux administratifs (direction et administration, bureaux, locaux techniques, magasins pour entrepôt, une salle polyvalente), des espaces d’expositions, etc.;
• La partie Nord-Est, restaurée en 1996, est livrée à la curiosité des visiteurs;
• La partie Est, dite "Stara", est occupée par des habitants qui ne cessent de modifier son aspect architectural;
• La partie au centre est en ruine.
Le plan original de la kasbah de Taourirt a été chamboulé et ses espaces nivelés par l’usure du temps, de l’histoire et des hommes. Seules quelques parties témoignent encore de la grandeur de cette bâtisse, notamment la salle de réception construite dans un style citadin, la cour (lieu de réception et de fêtes) et les décors de façades. Les belles tours, les étables, les fours, les ruelles tortueuses, les salles familiales n’ont plus d’échos que dans la mémoire des anciens.
De Mazières M. & Goulven J. Extrait de : Les kasbahs du Haut Atlas. Edité par “La vie marocaine illustrée”, février 1932
Cependant rien que par son aspect extérieur, cette kasbah est déjà remarquable. C’est celui d’une véritable cité, d’une cité du désert. La surprise vient de ce que cette cité, au type si caractéristique qu’accuse l’uniformité même des constructions, donne par la diversité, le fouillis des détails qui la composent, l’impression de grandeur. Assez récente (les Glaoua ayant fait raser l’ancienne kasbah après une révolte des Ahl Ouarzazate), plusieurs détails de se construction trahissent une influence urbaine. mais la silhouette trapue, resserrée dans l’enceinte étroite propre à la défense, cette multitude de petites fenêtres pareilles à des meurtrières, la dentelle des créneaux qui bordent les terrasses, tour cela découpé, dressé à mêm la terre fauve, sur le rebord du plateau rocheux et nu, projeté sur un ciel vide, inondé de lumière; la hête lente des indigènes qui entrent, sortent, le silence, traversé de temps en temps par un cri, par un appel, un visage olivâtre de femme entr’aperçu derrière un moucharabieh de bois, un groupe d’hommes au coin d’une haute terrasse qui regardent vers le Sud les dures montagnes d’acier, il n’en faut pas plus pour imprimer dans la mémoire une image, en somme synthétique, de ces bleds.
Devant le Ksar avant l'aménagement des abords.
Aménagement de la place vers 1950
Terrasse Henri. Extrait de : Kasbahs berbères de l’Atlas et des oasis. Ed. Horizons de France 1938
L’Ouarzazate forme transition entre le Drâa et le Dadès. Les ksour restent importants mais ne s’entourent pas d’une enceinte aux lignes régulières : les murs extérieurs des hautes maisons qui les composent servent de rempart. Ainsi en est-il au ksar à demi ruiné mais très pittoresque de Tifoultout.
Souvent aussi ces ksour contiennent des tirremts qui en effilent encore la silhouette. Le village des Aït ben Haddou échelonne sur une pente de roches rouges, au bord d’un oued, une cascade de maisons et de tighremts.
Mais le joyau de cette région est la kasbah de Taourirt du Ouarzazate. Sa célébrité ne lui vient pas seulement de ce qu’elle est une des premières grandes architectures berbères que rencontre le voyageur venant de Marrakech : elle vaut à la fois par sa masse énorme et par le pittoresque sans cesse renouvelé de ses aspects de détail. Du côté de l’oued, elle fait jaillir, au-dessus des jardins, d’énormes murailles de terre lisse ponctuées de décrochement et de vastes bastions. Seule la partie supérieure de ces hautes bâtisses se perce de fenêtres.
Au sommet du versant que recouvre la kasbah, une haute construction - la demeure du chef de la forteresse et de la région - reprend et accentue l’élan de tout l’ensemble. A l’intérieur, les cours qui entourent la résidence seigneuriale, les ruelles où s’entassent les gens du commun composent d’étonnants tableaux. Les masses architecturales s’équilibrent toujours avec un rare bonheur; il faut parcourir lentement cette kasbah pour se convaincre des ressources plastiques de l’architecture berbère.
De Skoura à Ouarzazate, l’espace entre l’Atlas et le Sagho a beaucoup augmenté. On a une sensation d’immensité, et l’on s’enchante de la qualité de le lumière.
De ternes palmeraies reparaissent à gauche, puis en face. Voici un ksar, mais ce n’est pas encore la célèbre kasbah. J’attends celle-ci avec un peu de méfiance, prêt à la déception. Tel ne sera pas le cas. On a beau avoir encore dans l’oeil les tirremt de Skoura, quand elle apparaît au loin sur sa colline, une angoisse vous saisit. Le mur d’enceinte n’a pas l’air d’avoir été élevé pour en interdire l’accès, mais pour achever l’oeuvre, à la façon d’une sertissure. La masse patinée d’ocre des bâtiments semble un défi de Titan aux désert. Le donjon qui la surmonte est fait de deux tours juxtaposées.
Debout, sur l’une des terrasses, deux femmes aux robes chatoyantes font penser à ces princesses des contes arabes mises à l’abri des atteintes de la vulgarité dans un palais aux remparts d’or.
La kasbah de Taourirt de Ouarzazate est, en réalité un ksar, résidence déjà ancienne du khalifa du Glaoui, un membre de sa famille. Comme le note H. Terrasse, l’Ouarzazate, au point de vue architectural, forme transition entre le drâa des ksour et le Dadès des tirremt. Pas d’enceinte proprement dite; les hautes façades servent de rempart.
Chatinières Paul Dr. : Dans le Grand Atlas marocain. Extraits du carnet de route d’un Médecin d’assistance médical indigène 1912-1916. Édition Plon 1919
Une spécialité des Draoua : la construction en pisé
Les Draoua, que l’on trouvait à l’époque exilés dans beaucoup de régions du Maroc, s’étaient spécialisés dans le creusement des khettara, ces longs conduits souterrains qui, dans toutes les oasis et à Marrakech particulièrement, amènent l’eau du sous-sol à la surface par simple déclivité, fertilisant ainsi d’immenses contrées privées d’eau. On les recherchait partout pour leur art si spécial, fait de patience et de ténacité, travail de taupe, servi par l’instinct inné de l’hydrologue. Ils exerçaient, en outre, la profession de maçons ou plutôt de bâtisseurs de pisé.
Une équipe de Draoua était précisément en train d’élever de nouvelles constructions attenant à la kasbah de Taourirt. Tête et bras nus, sous le soleil ardent, vêtus d’une simple chemise flottante, ils tassaient, à grands coups de dames en bois, la terre rouge dans un moule. Ce moule, dressé au-dessus du mur en construction, était fermé de deux tables de bois verticales et parallèles dont l’écartement formait l’épaisseur même du mur.
Les Draoua travaillaient en chantant des mélopées sauvages, au rythme lent et scandé. Le chef d’équipe entonnait, les autres reprenaient le refrain et les dames s’abattaient en mesure donnant l’illusion d’un galop. Petit à petit, le rythme s’accélérait, les coups se précipitaient, c’était la charge; l’équipe soufflait, s’époumonnait en chantant de plus en plus rapidement. Le chef d’équipe terminait brusquement la complainte par un cri guttural, tandis que toutes les dames s’abattaient lourdement une dernière fois. Ils étaient tous las et en sueur; la terre suffisamment tassée dans le moule, ils enlevaient les tables et déplaçaient le moule pour continuer le mur et recommencer leur sarabande.
Le carnaval de l’Achoûra à Taourirt
D’après le journal de voyage de Mme Jeanne Peltier-Grobleron, en date des 13 et 14 avril 1935.
Sur une placette de la kasbah, l’animation est grande, on sent un air de fête, c’est l’Achour. Les négrillons sont en nombre avec de beaux habits; une négrillonne, vêtue de calicot blanc a, sur la tête, une couronne en carton découpé, comme celle des enfants revenant de la distribution des prix.
D’autres enfants sautent par-dessus des petits tas de braises allumées. On entend partout des rires, tout le monde est joyeux.
Le lendemain, les gens affairés vont de tous côtés; les enfants courent partout, des fillettes se lancent de l’eau, gestes symbolique pour demander la pluie.
On fait cercle autour d’une scène bien curieuse : c’est probablement une réminiscence des Saturnales, cérémonies qui se perdent dans la nuit des temps, qui deviennent des plus bizarres et des plus incompréhensibles (1). Cette fête, suivant l’année linaire chez les Musulmans, se déplace chaque année. Primitivement les cérémonies étaient printanières, faites pour demander de l’eau, la fécondation, la prospérité; elles arrivent à se trouver maintenant hors de saison et alors leur vrai sens se perd.
La dite scène représente une sorte de carnaval épouvantable : un homme se fait barbouiller la figure de noir, puis on lui apporte la dépouille aplatie et desséchée d’une cigogne, et le train arrière d’un âne avec les pattes, le tout également desséché. Il met la cigogne sur sa tête; les ailes lui font une coiffure, il porte en bandoulière le morceau d’âne qui traîne en partie sur le sol. Pour compléter ce costume hétéroclite et répugnant, il se met au bas-ventre, comme attribut de la fécondité, un énorme tuyau de caoutchouc, simulant un phallus.
Ainsi accoutré, riant lui-même et provoquant le rire tout autour de lui, cet homme terrible va être enchaîné, tiré, frappé, promené, et montré partout et à tous. Il devrait finir sacrifié et succomber sous les coups meurtriers (2). Mais les mœurs sont changées : rien de barbare; les chaînes sont douces, les coups simulés. Il fait mine de résister, de se faire tirer : ce ne sont que des amusements.
Après avoir parcouru ainsi différents lieux de la kasbah, il est sacrifié pour rire, et se dépouille de cet horrible déguisement...
(1) Il est un fait que diverses fêtes musulmanes se sont appropriées des rites berbères préislamiques. Il n’est pas douteux que le carnaval, dont les différents types ont été étudiés par Laoust, vu par le témoin, n’appartienne au genre dit boukho ou akho; c’est-à-dire une sorte d’ogre. Laoust ne signale pas d’ailleurs de costume exactement analogue à celui en usage alors à Ouarzazate, qui était donc une variété spéciale de ce genre.
(2) Quant à l’akho, personnification d’un génie malfaisant, nul doute qu’on expulsait autrefois au loin l’individu à qui incombait le rôle peu plaisant de le représenter, ou qu’on déchiquetait son effigie, ou encore qu’on la brûlait solennellement dans un immense feu de joie (Laoust).