D’après une étude de Georges Monnet, paru dans la "Revue Littéraire", n°12, 2006.
En mars 1914, un jeune couple de Catalans français débarque à Casablanca. Raoul Barrère est né à Thuir le 17 février 1890 et Marie Affre, à Perpignan le 31 juillet 1885. Orpheline de sa mère depuis 1902. Son père Edmond Affre décède en février 1913. Marie fait ses études au pensionnat Sainte Marie de Perpignan, c'est une jeune fille cultivée, aux multiples talents. Elle peint, joue excellemment du piano et surtout elle écrit. Marie écrit également des poèmes, des nouvelles, des contes, des romans pour enfants, de courts romans pour adultes qui passent au “Noël” (1) et à “La Semaine de Suzette”. La Bonne Presse la publie. à plusieurs reprises, elle est primée.
Raoul et Marie se sont mariés le 9 janvier 1914 à Perpignan et aussitôt ils sont partis pour le Maroc. à peine arrivés, la guerre éclate. Raoul est mobilisé sur place. à plusieurs reprises, Marie est autorisée à suivre les déplacements de son bataillon : Berrechid puis Kasba Tadla, la vallée de l'oued Oum Er Rbia, puis Meknès. Enceinte, elle ne perd pourtant pas un instant : elle écrit au “Noël” ce qu'elle fait, ce qu'elle voit. Toutes ces notes de voyage - ces croquis marocains - elle les rassemblera en un volume qui sortira en 1920 : La Kasba parmi les tentes est un des plus beaux livres de Marie.
A Casablanca, le 10 mars 1915, naissance d'Edmond. Au début de 1920, les Barrère reviennent en France régler la succession parentale. Il semble qu'alors ils envisagent de rester en France : Raoul a été peu satisfait de la société qui l'employait et l'avait chargé du défrichement de terres en vue de lots de colonisation. Ils achètent un domaine au nord de Castres. Leur fille Maryvonne y naît le 23 février 1922. Mais la marche du domaine périclite, si bien qu’ils sont contraints de vendre et de retourner au Maroc.
En 1927, on les retrouve place de France à Settat. Marie écrit, fait le catéchisme, aide l'un, soigne l'autre. Puis c'est Tamlelt où ils construisent leur maison Dar en Nouar (la maison des fleurs). Raoul travaille à l'huilerie coopérative et, le soir, tape à la machine les manuscrits de sa femme. Ils lancent une toute petite plantation.
En 1931, Marie entre à la Société de Gens des Lettres. Bien plus tard, en juin 1959, alors qu'elle n'est plus éditée - la Bonne Presse ayant relégué aux oubliettes tous ses vieux auteurs - elle regrettera de n'avoir pas été candidate dès son premier roman en 1911. “Hélas, écrit-elle, j'en ai été dissuadée par l'éditeur lui-même !”
Les Barrère ne sont pas des colons. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, ils ne jouissent pas de certains avantages. C'est ainsi qu'ils n'ont pas droit à l'essence pour se déplacer. La famille se rapatrie dans le modeste appartement de vacances qu'elle possède 4 rue des Alliés à Mogador. La tourmente passée, retour à Tamlelt où la plantation se révèle d'un bon rapport. Mais Raoul, de santé fragile, meurt le 13 mai 1955 à Mogador.
En 1956, l'indépendance du Maroc est proclamée. Les fonctionnaires doivent quitter le pays. Maryvonne, sa fille, et son mari Marcel Vernou ont l'obligation de rentrer. Marie se décide à les suivre.
En septembre 1957, Marie est en France, provisoirement installée à St Ciers d'Abzac (Gironde), puis à Thuès-entre-Valls, un hameau de montagne, dans la vallée du Têt. Ses conditions de vie sont déplorables, elle vit chichement pendant quelques mois. Un peu plus tard elle déménage à Collioure (Pyrénées Orientales). Elle y meurt, rue Antonio Machado, le 23 Juillet 1963 et repose à Perpignan, loin de son cher Raoul resté à Essaouira, l'ancienne Mogador.
Tour d'horizon de ses romans qui se passent, tout ou en partie, au Maroc
En 1959, Marie Barrère-Affre, qui vit petitement à Thuès, écrit à la Société des Gens de Lettres : “J
'ai écrit autant de romans que Delly ; ils ont eu de grands succès de librairie”. En quoi elle se trompe : elle a écrit beaucoup plus que la rosière versaillaise ! Au moins 110 volumes (dont les deux tiers à la Bonne Presse), une liste interminable de poèmes, de contes, de nouvelles, de légendes, de croquis, de pièces de théâtre et de romans feuilletons.
Un exemple : dans la seule revue Le Pèlerin (2), on y trouve la parution 48 de ses romans entre 1927 et 1976 : 17 seulement seront édités, 9 ont paru post-mortem, le Père Guichardan en ayant acheté les manuscrits à la pauvre Marie qui peinaît à vivre.
Ses lieux de prédilection sont néanmoins le Roussillon son pays natal, et son pays d'adoption, "son" cher Maroc. Le style est irréprochable : l'auteur manie avec grande aisance une langue souple et poétique. Ce qui dérange le plus ce sont les personnages, trop stéréotypés, flanqués d'une psychologie hâtive qui résiste mal à l'analyse. Marie est croyante, sa foi est profonde, lumineuse, sûrement trop dogmatique. Elle est convaincue que le premier devoir d'une catholique que Dieu a munie de ce “don redoutable” qu'est le talent littéraire est d'écrire des romans édifiants. .
Et pourtant lorsqu'elle écrit “son” Maroc, lorsqu'elle regarde vivre les berbères, il lui arrive d'oublier qu'elle veut d'abord édifier. C'est alors que, renonçant à ce qu'elle croit sa mission, elle se révèle un grand écrivain.
a) à la Bonne Presse
- “Sous l'œil de Minerve” (Bijou 1930). Dans un coin perdu du Haut-Atlas où gémit un prisonnier retenu par les pillards.
- “Le Balcon sur le désert” (Ruban Bleu 1938) : Lente réconciliation d'un couple dans ce “désert de lumière et de couleur” où se cache Ouarzazate. - “Les maîtres des arbres” (Bijou 1939, Etoiles 1946). A Demnate.
- “Lalla Aicha” (Bijou 1941). Ensorceleuse des colons près du bois sacré d'Aïn Bel-Mesk.
- “Dès ce monde (Bijou 1941). Sous la Révolution en France puis à Mogador.
- “La Koubba des Sultanes” (Bijou 1941, Etoiles 1945). Sur le littoral au nord de Rabat.
- “Le jardin d' Omphale ” (Bijou 1942, Etoiles 1948). En partie, aux bords de Marrakech.
- “Quand Dieu nous mène” (Ruban Bleu 1948). Une intrigue compliquée mêle le domaine de Bir Enneich près de Marrakech, l'Indochine, le faubourg Saint-Germain et les luttes de la Résistance à Perpignan.
Deux ouvrages édités à la Bonne Presse sont à mettre à part :
- “La kasba parmi les tentes" (1920). Recueil de “croquis” entrecoupés de poèmes. Les premières impressions d'une jeune femme qui vient d'arriver “Trois ans de ma vie là-bas parmi les meskines, dans le charme du bled et la grâce des villes”. Par son naturel, son charme de “pris sur le vif”, ce livre qui n'est pas un roman, tranche radicalement avec les productions antérieures de Marie.
- “Terres farouches" (1933). D'abord un film (3) tourné au Maroc par le R. P. Damion, père eudiste, sur une donnée de Marie Barrère-Affre. Présenté Salle Gaveau à Paris le 10 novembre 1932, sous la présidence de la Maréchale Lyautey. Peu après Marie en tire un roman que la Bonne Presse présente ainsi : “
Dès bords de l'Océan africain aux confins de la dissidence dans le Haut-Atlas marocain, une équipée dramatique dans laquelle évoluent et se heurtent colons, indigènes et dissidents farouches".
b) Les ouvrages pour les enfants
- un roman cinématique : “Une tête blonde” (Bonne Presse 1928);
- quatre romans missionnaires parus aux éditions du Clocher à Toulouse en 1949 : “Le fils de l'aviateur” suivi de “L'aviateur de l'Atlas”, “Au service du Roi” suivi de “La Randonnée Tragique”;
- une biographie : “Lyautey, le grand Africain” (1940) dans la collection “Pionniers de l'Empire” aux éditions du Clocher;
- trois récits marocains d'une délicieuse facture dans “Zouina, la petite sultane” (Mame 1954), sans doute le dernier volume de Marie qui fut édité (4).
c) La trilogie berbère :
- “Le village de Toub”. Écrit en 1938, il est publié la même année puis en 1949 aux éditions du Maghreb à Casablanca. Il est couronné par l'Académie Française.
- “Timimmit Ksourienne”. Écrit en 1938 à Tamlelt, il obtient sur manuscrit le prix littéraire du Maroc en 1941. Paul Bory de Casablanca en donne un double tirage : l'un, à 975 exemplaires, avec des bois de J Hainault en 1944; l'autre, ordinaire, illustré par P. C. Beaubrun, en 1946.