Le Larousse mensuel illustré , n°3 de mai 1907, signalait qu’un certain Peffau-Garavini, ingénieur et explorateur, avait effectué l’automne précédent un voyage à Marrakech et à Taourirt de Ouarzazate.
Un récit succinct, accompagné de 6 illustrations, est également paru dans le Journal des Voyages, tome XXIII, du 1er décembre 1907, n°582, pages 149-150.
Cette photo de Tikirt, prise lors du voyage dans l’Atlas de 1904-1905 effectué par le marquis de Segonzac et son équipe, fut réutilisée dans un article de Gustave Babin sur le voyage de Peffau-Garavini, paru dans la revue L’Illustration, n°3341 du 9 mars 1907 1907.
Parti à l’automne 1906 de Mogador, Louis Peffau-Garavini rejoignit Marrakech où il fut reçu par le khalifat du caïd. Extrait du récit, paru sous le titre : Les grands vassaux marocains, chez le caïd du Glaoui.
“Sous les arbres, une escorte s’avance : des cavaliers et des esclaves à pied. Celui qui est en tête monte un magnifique cheval. Pour se défendre des brigands, il est armé d’un fusil à répétition. C’est le khalifat du caïd qui nous souhaite la bienvenue au nom de son maître : à côté de lui se trouve l’un des esclaves qui porte les clefs de la maison dans laquelle nous devons descendre.
Je ne puis me lasser de contempler la physionomie superbe, un pur type sarrasin, du khalifat. Ses façons sont courtoises ainsi que celles de Sidi Omar, le correspondant du consulat de France à Mogador.”
Peffau-Garavini entreprend ensuite son voyage dans l’Atlas.
“De marrakech à Mesfiouah, nous parcourons 40 kilomètres dans une plaine fertile pendant la saison froide mais desséchée en juillet. Nous voici sur le territoire du caïd Si Madani, devant une de ses casbahs placée là comme un poste militaire avancé, au milieu d’oliviers, bâtie au pied des premiers contreforts de l’Atlas sur le versant nord. Cette casbah s’appelle Mesfiouah.
La réception du caïd est des plus bienveillantes et amicale avec une nuance très marquée : nous ne sommes pas musulman et on maintient les distances, et aussi n’oublions pas que notre hôte est un très grand seigneur. On nous dresse une tente au milieu des oliviers et des esclaves nous apportent des mets dans des sortes de plateaux en bois, préservés par des couvercles en forme de cônes. Ce repas se compose de tadjines ou ragoûts excellents, de couscous et de mouton admirablement rôti.
Peu d’heures après, les mêmes esclaves nous servent une collation de dattes, figues, amandes et enfin de beurre délicieux et de miel, symbole d’amitié offert aux hôtes que l’on veut honorer.
Un souvenir inoubliable pour moi est celui de notre première entrevue avec le caïd, et la plume d’un écrivain de talent pourrait rendre le caractère de cette scène, fort simple en elle-même. Je vois encore le souverain du Glaoui, imposant et superbe sous ses draperies blanches, assis sur le haut d’un rempart, nous en-dessous écoutant des paroles amicales, nobles et courtoises que semblaient accompagner en sourdine un chœur religieux, une lente mélopée chantée au loin par des Thalebs... et de temps à autre apparaissent et accouraient des messagers aux allures sauvages, étrangement beaux sous leurs pittoresques guenilles.
Nous partons pour Telouet avec une escorte de vingt cavaliers, car le pays est peu sûr en cet endroit, étant limitrophe de tribus ennemies. Nous arrivons à Tougana, hors du territoire du Glaoui, chez des amis du caïd qui nous reçoivent fort bien et nous laissent un bon souvenir. Également bien reçus à Zerektane chez Cheikh Ali. Son hospitalité délicate est large; elle m’a rappelé celle des anciens patriarches. Ses deux fils, Si Mohammed et Si Brahim, sont doués d’excellentes manières et d’éducation parfaite, remarquables par le cœur et l’esprit. Ils ont fait de brillantes études à Marrakech et ont combattu contre le prétendant. Très riches, ils sont simples et modestes. Cheikh Ali, leur père, est appelé “Homme de parole”, c’est-à-dire honorable et loyal.
Nous quittons ce paradis et cheminons de nouveau par des chemins escarpés, mais praticables pour les mules, même pour les chameaux. A Telouet se trouve la principale casbah du caïd Si Madani: de nouveau je perd la notion du temps et croit voguer en plein moyen âge. Nous avons devant nous une forteresse flanquée de tours, rien n’y manque, ni les créneaux, ni les Mâchicoulis; les grands vassaux du roi Luis XI en avaient de semblables à l’abri desquelles ils bravèrent longtemps l’autorité souveraine.”
Commence alors des incidents désagréables de son voyage suite à une négligence grave et impardonnable de la part de personnes lui avoir prétendu connaître les usages en pays musulman. On ne lui avait pas remis ni envoyé les cadeaux destinés aux chefs des villes qu’il devait visiter. Certes, il rencontra des gens d’esprit et de cœur qui comprirent sa situation et lui ont été hospitaliers; mais, à Telouet, il fut traité sans politesse et vraiment mal reçu.
“Je dois dire que la vanité ridicule d’un interprète a mis le comble à mon embarras et inspira quelques parole ou acte déloyal à cet homme humilié de ne pouvoir remettre les présents que lui réclamait le khalifat.
Je vécu là six jours dans le local réservé aux étrangers, littéralement dévoré par la vermine et les mouches et obsédé par des demandes continuelles de cadeaux auxquelles je ne pouvais satisfaire.”
Peffau-Garavini quitta ensuite Telouet pour se rendre à Taourirt de Ouarzazate.
“Nous suivons une vallée au fond de laquelle coule l’oued Mellah. Cette rivière est salée au point d’exhaler une odeur marine et des algues poussent sur les rochers de ses rives. Nous allons ainsi jusqu’à Tamedaght (1.400 d’altitude). Là les mauvais procédés continuent. Le khalifat se fait excuser, il est malade et ne peut nous accueillir. Nous sommes traités encore plus mal qu’à Telouet.
Nous continuons notre route à travers des plateaux stériles, brûlants, des pistes au milieu d’un chaos de pierres, du gypse et du sel, pas un brin d’herbe, pas un arbre. Nous arrivons à Ouarzazat, une remarquable kasbah, solidement fortifiée et d'allure tout a fait franque”.
Article et double page de L'Illustration
L’ingénieur va y trouver un heureux changement d’attitude qui lui fera oublier ses misères passées.
“Nous recevons de Si Hammadi, frère du caïd si Madani, un excellent accueil à Taourirt. Notre hôte est un homme aux allures simples, d’une grande intelligence. Je retrouve en lui les belles qualités de son frère et de toute sa famille. Voici mon dernier souvenir du Maroc, le vrai, inconnu des Européens, tel qu’il se conserve depuis des siècles, fidèle aux traditions antiques.
Ce souvenir est celui d’une promenade que je fis en compagnie de mon hôte. Nous chevauchions sous les palmiers et les figuiers, à travers des champs de millet, escortés de cavaliers au type sarrasin, aux longs burnous blancs, droits et fiers sur leurs selles à hauts dossiers rouges, portant en bandoulière des poires à poudre de cuivre ciselé en forme d’olifants et reluisant au soleil.
Et tout le long du chemin, dans les villages que nous traversions, des paysans offraient à leur seigneur, des béliers blancs enrubannés et portés en travers sur le cou et les épaules du chef de village; des esclaves attendaient portant sur leurs têtes des corbeilles de raisins et de figues. Ce fut ma dernière étape vers le Sud avant le retour. J’en conserve un souvenir délicieux.”
Sa mission terminée, il revint à Marrakech par le chemin déjà parcouru et décrit. Puis, après un séjour dans cette ville, il alla s’embarquer à Mogador, non sans avoir couru quelque danger dans la zone infestée par les brigands.
“Je quittais la terre d’Islam, le soleil d’Afrique pour voyager vers l’Europe civilisée et froide, au ciel pâle, aux foules laides et ternes que j’avais quittées depuis cinq longs mois.”